La bataille avait fait rage toute la journée. Le ciel saignait des dernières lueurs de lointaines explosions au son assourdi par la distance. Les cadavres se comptaient par milliers, démembrés, brulés, défigurés. D’autres carcasses jonchaient le sol vallonné par les obus, celles des tanks, des D.C.A et autres machines à tuer victimes de l’ennemi. Ce ne sera pas le dernier assaut : l’aube verra de nouveaux guerriers embrasser la mort, courir et mourir en hurlant, la rage au ventre, misérables fourmis sur l’échiquier cruel de la Guerre Totale…
Bon, c’est un peu métaphorique, mais ça ressemble à ce que l’on ressent après l’écoute de ce …For Victory de Bolt Thrower. Frappé de plein fouet par la puissance de l’opus, on ne peut qu’essayer de s’en remettre, en sachant que l’écoute suivante ne sera pas plus douce, pas plus clémente : l’ennemi a des munitions infinies. Et le temps ne change rien à l’affaire, car malgré de multiples écoutes …For Victory garde sa puissance pachydermique et son efficacité optimale. Ceux et celles qui ont connu Bolt Thrower avec The IVth Crusade ne seront pas dépaysés : si la production a subi un lifting salutaire (plus concise, plus claire et plus propre, sans perdre de sa superbe) par Colin Richardson, le reste des gimmicks si chers à Bolt Thrower est bel et bien présent.
Tout d’abord, la relative lenteur du tempo. Relative, parce que le groupe ne crache pas sur une bonne accélération des familles, mais ne tombe jamais dans l’hystérie. Le blast-beat est aux abonnés absents sur l’album au profit d’une double grosse caisse très présente dès lors que le groupe accélère un poil la cadence ("Lest We Forget", "Armageddon Bound", "Remembrance"). Ensuite, le son des guitares déjà évoqué qui reste reconnaissable entre mille et bien sur la voix de Karl Willets, pur growleur bien grave et râpeux, qui est loin d‘être étranger à la réussite de cet album. Impérial, massif, Willets est bien à l’image de ce que dégage le groupe. Et enfin, les riffs estampillés Bolt Thrower© sont bien sûr de la partie. Mélanges réussis entre ces mélodies sinistres et cette indéniable puissance, ils donnent au groupe une identité unique qui a fait cas d’école dans le monde du death-metal.
Alors oui, Bolt Thrower reste Bolt Thrower. Il n’est pas question ici de chambouler la recette tant appréciée des fans qui a déjà fait ses preuves sur Warmaster mais aussi (et surtout !) sur The IVth Crusade, leur quatrième album et premier chef d’œuvre. Le line-up reste stable – plus pour longtemps – et la thématique est toujours la même : la guerre sous toutes ses formes. Son horreur bien sûr mais aussi ses…hum… « vertus » ("…For Victory" - héroïsme et sacrifice), sa technologie meurtrière ("Tank (MK.1) "), et surtout sa violence aveugle et sa stupidité. Concept qui colle bien sûr de façon remarquable avec la musique, tant l’écoute de cet album évoque un char d’assaut en pleine action.
Parfois qualifié de « power death-metal » par des critiques en mal de sous-genre, force est de constater que cette appellation prend un vague sens vu la patate que donne certains titres, en particulier le superbe titre éponyme "…For Victory" et sa mélodie poignante, ou encore "Armageddon Bound" au groove surprenant pour du Bolt Thrower et où Willets change de registre vocal pour aller vers quelque chose de légèrement plus thrash mais non moins dévastateur que son growl. Ca sera la seule entorse à l’image granitique de Bolt Thrower, inamovible dans ses fondements. On aime ou pas, mais au moins on sait à quoi s’attendre. Toutefois, pas de recette miracle qui marche à tous les coups : avec les mêmes ingrédients, Bolt Thrower se montre parfois moins percutant comme sur "Lest We Forget" ou "Silent Demise", efficaces mais sans génie.
C’est toutefois dans l’ensemble un des albums mythiques du combo anglais, qui connaitra après celui-ci des changements dans son line-up (Willets et Whale (batterie) quittant le navire). Mais pour l’heure, …For Victory fait pour certains (l’album ne fait pas l’unanimité) partie du panthéon du death metal. La guerre, on y joue avec Warhammer 40k, on la regarde avec Il faut sauver le Soldat Ryan ou Platoon, et on l’écoute avec Bolt Thrower...