Born Again, curieusement l’un des albums oubliés de Black Sabbath, alors qu’il avait cartonné à sa sortie, en réalisant les meilleures ventes du Sab depuis Sabbath Bloody Sabbath. D’un côté le groupe venait de perdre Ronnie James Dio et Vinnie Appice, et de l’autre Ian Gillan, après un repos forcé d’un an à cause de ses problèmes de cordes vocales, finira par lâcher son groupe Gillan. Sa pause durera seulement 3 mois, et ses musiciens apprendront par la presse son intronisation au sein du Sab, sans jamais avoir été avertis directement.
À propos de Born Again, on a raconté tout et n’importe quoi à son sujet, à commencer par les circonstances qui ont poussé le Sab à embaucher Ian Gillan. La fameuse cuite entre Tony Iommi, Geezer Butler et Ian Gillan est la version qui revient le plus souvent, soirée à la suite de laquelle ils auraient décidé d’enregistrer le plus grand album de heavy de tous les temps. Il est difficile d’imaginer l’impact qu’a pu avoir une telle association, mais à l’époque le Sab était encore très populaire et n’était pas devenu un groupe de seconde zone comme ce sera le cas pendant la période Tony Martin. L’arrivée de Ian Gillan attisait les curiosités, d’où les chiffres de vente.
A priori, Born Again n’a rien pour plaire : une pochette hideuse, un son dégueulasse (même les démos sonnent mieux), un casting absurde (si on y réfléchit bien, Ian Gillan dans Black Sabbath, c’est n’importe quoi, non ?), des effets pyrotechniques sur la tournée qui influenceront Spinal Tap (les fameux Stonehenge) et un heavy metal caricatural, regroupant tous les clichés du genre. Étonnant que Born Again se soit aussi bien vendu car ce n’est vraiment pas un album commercial. Contrairement à la période Dio, le Sab a cessé de vouloir coller à tout prix à la New Wave Of British Heavy Metal. A l’heure où Ozzy s’américanise avec des shredders blondinets, le Sab redevient maléfique et evil, plus heavy que jamais !
Grâce à Ian Gillan, qui enterre Ozzy vocalement, on obtient l’album le plus malsain du Sab. Il s’époumone tout le long, en fait des tonnes et joue même les Metal God, avec des aigus parfaitement adaptés à l’esprit de Born Again (c’est moins évident pour les classiques du Sab). Pas de doute, la période Born Again fascine, aussi bien pour les versions live terrifiantes de l’hymne "Black Sabbath" qui effrayaient la foule (on entend même les filles hurler de peur sur les bootlegs de l’époque ; le groupe se posera la question de savoir s'ils doivent continuer à la jouer ou pas) que pour le ridicule inhérent à cette association incongrue : "Smoke On The Water" joué en rappel, infrastructures scéniques énormes, à la limite du grotesque, un Ian Gillan pas toujours très à l’aise sur scène, se penchant discrètement pour lire les paroles derrière la baffle centrale.
Quid de Born Again, l’album ? Du bon vieux heavy metal bas de front, presque caricatural : "Trashed", avec un riff hyper lourd, discrètement renforcé par les claviers de Geoff Nicholls et un Ian Gillan déchaîné, qui n’en finit plus de brailler, on ne pouvait pas mieux démarrer ! Quelques intermèdes glauques ("Stonehenge" et "The Dark") – il y en avait déjà sur Mob Rules ceci dit – permettent d’introduire en douceur les bombes heavy, judicieusement placées au début du disque : il suffit d'écouter ces ricanements sataniques tout au long de ce "Disturbing The Priest" pesant et malsain au possible. "Zero The Hero", plus tubesque déjà (tout est relatif), contient ce fameux riff qu’on a retrouvé quelques années plus tard sur le "Paradise City" des Guns (pour la comparaison, il fallait chercher loin quand même !). On sent un léger groove dans le phrasé de Ian Gillan, sa voix rauque et puissante impressionne… jamais un chanteur du Sab ne s’était lâché à ce point !
Chef-d'oeuvre pour les uns, grosse farce pour les autres, Born Again divise.
Avec une production qui commence sérieusement à suinter les années 80 (grosse batterie écrase-tout, guitares au son aigrelet, quelques arrangements censés créer une atmosphère flippante même si on est plus proche de la caricature qu’autre chose), Born Again a, avouons le, terriblement mal vieilli. Et même si la fin de l’album n’est pas tout à fait à la hauteur de son démarrage en fanfare, c’est avec plaisir et le sourire aux lèvres que l’on va se resservir une louche de 300 grammes de lourdeur, avec des solos destroy et toujours ce Ian Gillan épatant : du vieux riff lourdingue qui arrache ("Digital Bitch" et "Hot Line", ce dernier contenant au milieu un court passage rock façon seventies plutôt surprenant et décalé dans ce contexte) et une ballade, "Born Again", qui tombe à plat. Comment dire… sur "Born Again", on ressent vraiment le décalage entre Ian Gillan d’un côté et le Sab de l’autre ; Ronnie James Dio aurait été bien plus à sa place sur ce titre.
Sur la tournée qui suivra, Ian Gillan épuisera ses dernières cartouches vocales, tandis que le Sab attendra le retour de Dio sur Dehumanizer pour réaliser un album aussi heavy. Alors Born Again, à réserver aux fans de Ian Gillan plutôt qu’aux fans du Sab ? En tout cas, ce sont les premiers qui plébiscitent Born Again, bien plus que les seconds.