Un bon riff rock 'n' roll, m’informait l’autre jour ma voisine, c’est celui qui vous confère un sentiment de puissance extraordinaire ; soudain, vous vous sentez prêts à déplacer des montagnes, plus rien ne peut vous arrêter. Et "Hole In The Sky", qui ouvre Sabotage, est de cette trempe. C’était déjà une constante chez Black Sabbath d’ouvrir leurs albums par un riff ravageur, mais ils n’avaient encore jamais donné cette énergie brûlante, fiévreuse, symptomatique d’un album sur lequel les quatre comparses donnent le meilleur d’eux-mêmes.
Et pourquoi donc ? On ne leur avait pourtant rien reproché ! Sabbath Bloody Sabbath, leur précédente offrande, n’avait montré aucun signe de fatigue ; au contraire, il avait même renouvelé la donne avec l’apport de synthétiseurs et une atmosphère moins lourde, plus catchy. Peut-être que face aux tensions diverses et aux drogues qui menaçaient de tout ruiner, le groupe, comme le Led Zeppelin de Presence, a ressenti le besoin de se prouver qu’il pouvait toujours casser la baraque, et a alors jeté toutes ses forces restantes dans cet album. Seulement, là où Presence offre un résultat en demi-teinte, Sabotage balaie tout sur son passage.
La « faute » à des compositions aussi exceptionnelles qu’inhabituelles pour du Sab’. Aparté acoustique qui ne dépareillerait pas sur un album de Yes ("Don’t Start Too Late"), instrumental à l’atmosphère délicieusement kobaïenne ("Supertzar" et sa chorale hantée), mais surtout, des pièces à tiroirs qui ne cessent de surprendre écoute après écoute, de par leur maîtrise incontestable. "The Thrill Of It All", un simple heavy burné ? Jusqu’à la seconde moitié, au riff instantanément accrocheur renforcé par des synthés rigolards ; de quoi vous donner la pêche pour la journée. Quant aux deux mammouths que sont "Megalomania" et "The Writ" (respectivement dix et huit minutes), ils comptent parmi les plus grandes réussites de la formation. Une ambiance sépulcrale ouvre le premier cité, puis laisse la place à un riff impitoyable qui se développe durant plus de cinq minutes, avant que rentre le Mellotron pour un final plein de fureur.
C’est là qu’il convient de rappeler que nos gaillards ont livré leur maximum : Geezer et Bill Ward constituent une assise rythmique solide comme le roc, boostée à bloc ; mention spéciale au batteur qui tantôt cogne son kit comme un forcené, tantôt fait preuve d’une finesse rare. Iommi enchaîne riff monstrueux sur riff monstrueux, dispersant ici et là quelques soli acides et pas piqués des vers. Quant à Ozzy, il s’agit de sa meilleure performance au sein du Sab’, rien de moins. Il faut l’entendre se déchaîner sur "Megalomania" ou atteindre des sommets d’émotion sur le final de "The Writ", sans jamais être épuisant ou ridicule.
Tout cela se retrouve sur "Symptom Of The Universe", une bombe absolue qui comprend l’un des riffs les plus terribles de l’histoire du metal, d’une simplicité et d’une brutalité (pour les années 70) qui laisse pantois. C’est une tempête de rage qui vient s’abattre sur nos pauvres corps, menée par un Ozzy en forme olympique. Et alors que le souffle vient à nous manquer, la troupe calme le jeu par un sublime break jazzy, illuminé par la guitare sèche de Iommi.
Si ce n’était le sympathique "Am I Going Insane" qui lasse malheureusement beaucoup plus vite que le reste, je n’hésiterais pas à dire que Sabotage surpasse Paranoïd. En l’état, il semble tout de même aussi essentiel que ce dernier, car s’il n’a pas eu le même impact sur la scène heavy, il se montre plus audacieux et plus diversifié. Amis metalleux, vous savez ce qu’il vous reste à faire…