Le passage du temps, une inquiétude humaine fondamentale. Dès le début de la civilisation, les hommes ont toujours cherché un moyen de marquer le temps qui passe. Ils se tournèrent alors vers les cieux, la Lune et le Soleil pour découper le temps en année, mois, jours. Les Gaulois utilisèrent ces deux astres pour construire leur calendrier. Plus de 2000 ans plus tard, Eluveitie reprend ce calendrier, non pas pour marquer le passage du temps, mais pour marquer le passage de leur musique. Fermez les yeux, nous allons vous narrer le déroulement des saisons musicales de Slania.
Samon: Novembre, la nature revêt ses habits rouges, les températures baissent et la bise se fait plus forte. Le temps du déclin et des regrets.
Ce n’est certainement pas le retour d’Eluveitie que nous allons regretter. Après un changement de label pour signer sur Nuclear Blast, le groupe helvète revient pour le plus grand plaisir des amateurs de folk metal. Leur précédent album, Spirit, avait obtenu d’excellentes chroniques et fut un succès. Le groupe ne change que quelques touches de sa recette pour ce Slania, qui consistait à mélanger judicieusement metal qui envoie du bois et parties folkloriques réussies, tout en réussissant à faire mieux. Le principal changement vient des guitares: le groupe aurait passé quelques vacances en Suède que ce ne serait pas surprenant. Le son des guitares, les riffs sont typiquement d’essence death mélodique de Gothenburg, lourds et entraînants, puissants. Écoutez un peu "Primordial Breath" ou encore "Calling The Rain" et essayez de ne pas headbanguer au rythme des guitares. Impossible ! Et le regret alors ? Il se trouve dans les thèmes de ce premier tiers d’album. Thèmes musicaux sur "Samon", l'instrumentale d’ouverture, lourde et mélancolique. Thème dans les paroles sur "Inis Mona", qui raconte l’histoire de ce druide en fin de vie qui regrette le temps de sa jeunesse.
Anagantios: Février, le monde gaulois est recouvert d’une pellicule blanche, le froid force la nature à s’endormir.
Lourdeur et agressivité des guitares accrues ne veut pas pour autant dire que le groupe délaisse le folk, bien au contraire. Chaque morceau possède un fond folklorique riche et fouillé, que ce soit dans les mélodies, les choeurs chantés en Helvète ou divers apports. Il suffit pour s’en convaincre d'écouter "Primordial Breath". Ce titre énorme et festif contient une base folklorique variée: cornemuse jouant un air celtique, percussions, chœurs. Cette base, mélangée en parfait équilibre avec les riffs agressifs et le chant death bien violent, donne une chanson qui donne envie de remuer violemment de la tête et de danser. Pour aller encore plus loin dans le festif, le groupe prend même le risque de reprendre la mélodie de la chanson celtique la plus connue, "Tri Martolod", sur le titre "Iris Mona". Mais nous sommes en hiver, et les chansons hivernales ne peuvent être festives. Comme sur "Anagantios", une instrumentale celtique qui dépeint à merveille un tableau de landes sous la neige, dans toute sa froideur. Ou encore comme sur la meilleure chanson du disque, "Slania’s Song". Ce titre dantesque, riche en émotions, dévoile progressivement une ambiance mystique et épique au travers de chœurs féminins, son introduction rythmée a la cornemuse, de growls en backing-vocals. Le merveilleux chant d’Anna Murphy est mis à l’honneur sur cette chanson mid-tempo et à la composition fouillée.
Giamonios: Mai, la vie reprend ses droits, la nature verdit à nouveau et les hommes recommencent à faire la fête.
Le retour des beaux jours correspond au durcissement du rythme chez Eluveitie. Les deux chansons printanières de Slania sont les plus rapides du disque, avec la cornemuse jouant des airs rapides et dansants, entremêlés à la perfection avec les guitares et la section rythmique sur "Tervos". Le mix met d’ailleurs chaque instrument à pied égal, tandis que la production surpuissante assure une claque dans la gueule permanente. Chanson parfaite pour terminer le disque, "Elembivos" est un excellent exemple de la maîtrise d’Eluveitie à équilibrer parfaitement le folk et de le death metal. Ce titre épique commence par des chœurs, puis Merlin se lance dans un jeu martial, puis les autres instruments arrivent au fur et à mesure. Les lignes mélodiques jouées par la cornemuse sont soutenues par la section rythmique et à aucun moment ils ne sont dissociés, tout s’emboîte à la perfection, même le surprenant solo de guitare. Et l’ensemble s’amenuise progressivement, tandis que les chœurs disparaissent en fade-out en dernier.
Elembivos: Août, c’est le temps des moissons. Bientôt les feuilles vont tomber, la nature va de nouveau décliner et le cycle sera bouclé.
Eluveitie délivre un album dont la maîtrise est hallucinante: équilibre parfait entre folk et death metal, compositions riches et complexes, violence et agressivité bien dosée, richesse des émotions diverses puisées dans le rythme saisonnier. N’ayant pas le droit au faux pas après le déjà bon Spirit, Eluveitie inscrit Slania au panthéon des meilleurs albums de folk/pagan.