Promis juré, pour cet humble retour sur l’un des meilleurs albums de death metal de tous les temps (si ce n’est le meilleur), je vais tenter de ne pas vous bassiner avec une exégèse plus ou moins amatrice et subjective des prémices du genre. De toute façon, absolument tout ce qu’il y a à savoir sur les débuts du death metal se trouve dans l’exceptionnel bouquin d’Albert Mundrian, « Choosing Death ». Tout le reste n’est que touchage de nouille d’une bande d’amateurs, dont je fais allègrement partie. Sachez simplement qu’en 1993, la première vague death est en train de casser sur la gueule du petit monde du metal, et que Morbid Angel, fer de lance absolu du style avec Death, est au sommet de son art. Après deux premiers LP éminemment respectables (Altars Of Madness et Blessed Are The Sick, excusez du peu), Morbid, réduit à l’état de trio (mais quel trio!) par le départ de Richard Brunelle, va tout simplement enregistrer sa plus grosse tuerie à ce jour, l’indépassable Covenant. Essayons de rendre hommage comme il se doit à cet intemporel monument.
Comment rendre grâce à la bête immonde qu’est Covenant? Voilà une vaste question, et pour y répondre, concentrons-nous sur l’essentiel : le casting des protagonistes, et ce qu’ils ont amené, chacun pour leur part, à ce chef d’œuvre. C’est bien simple, le trio qui a enregistré Covenant est la crème de la crème, le combo all-stars absolu, la dynastie death régalienne par excellence. A la batterie, Pete Sandoval, le tout meilleur batteur extrême de la période fin 80-début 90 avec Mick Harris de Napalm Death. Personne n’arrivait à la cheville de ces mecs et tous les groupes de l’époque les voulaient, à commencer par Death ou Carcass, pour rester dans les trucs cultes que littéralement tout fan de musique extrême connait. Examinons rapidement les qualités du ladre : d’une, il était ultra-véloce, et rappelons que la vélocité était l’un des principaux buts recherchés à l’époque ; de deux, il était précis comme un fichu maître horloger suisse, ce dont étaient incapables la quasi-totalité de ses confrères à cette vitesse d’exécution ; de trois, il était capable d’une versatilité ahurissante, et pour vous en convaincre, réécoutez son putain de jeu de cymbales sur ''Sworn To The Black'' : c’est du délire pour l’époque. Tous les autres batteurs extrêmes devaient se recroqueviller en position fœtale en entendant ça. Bref, Pete Sandoval était un gars excessivement talentueux et inventif : en 1993, il était l’homme de la situation.
Passons au chant et à la basse, et pompons donc un peu le chibre (devenu peu reluisant depuis, il faut bien le dire) de l’inénarrable David Vincent. De manière très simple, à cette époque et pour un bon moment encore, Vincent est le meilleur vocaliste de la scène extrême, et pas qu’un peu. Les plus gros frontmen d'alors, comme Ross Dolan, Glen Benton, Chuck Schuldiner, Lee Dorrian, Jeff Walkers ou encore Barney Greenway, pouvaient retourner bien gentiment pignouser dans leur coin. A la limite, John Tardy pouvait lui faire la nique, et encore. D’autant que sur Covenant, David Vincent enfonce encore le clou par rapport à ses précédentes prestations. Habitant tous les morceaux de sa présence inquiétante (à l’exception de l’intro de ''God Of Emptiness'' : ''Nar Mattaru''), le frontman fait passer les compositions du groupe dans une toute autre dimension et éclate tous les compteurs de la violence. Tout est parfaitement evil, et surtout parfaitement en place : son placement de voix, sa diction, et surtout son timbre, devenu plus gras et guttural que sur les deux précédents LP : inimitable, et pourtant copié par des milliers de chanteurs extrêmes depuis. C’est ce qu’on appelle communément une branlée. On finit à présent ce tour d’horizon par l’âme du groupe, Trey Azagthoth en personne. Fondateur et compositeur principal de Morbid Angel, George Michel Emmanuel III (ça claque tout de suite moins) atteint sur Covenant des monuments de dextérité, de brutalité et de versatilité.
Sur ce troisième LP, Azagthoth prend sa pleine mesure et fait montre de toute sa maestria technique à travers de tonnes de soli tous plus sanglants et acérés les uns que les autres. Mais ça à la limite, on s’en bat. Parce que ce qui marque à vie sur Covenant, ce ne sont pas forcément ces soli, mais bien ces putains de riffs de tueur, livrés par pleins camions arrivant directement de l’enfer : ''Pain Divine'' par exemple, est à jamais gravée au panthéon des meilleurs morceaux death de tous les temps grâce à ses riffs insensés, et des combos comme The Black Dahlia Murder n'auraient sans doute pas eu la même carrière sans ce morceau. ''Rapture'', qui ouvre l’album sur une base ressemblant à du bon vieux Slayer avant de se transformer en quelque chose de nettement plus vicieux et violent, est également une sacrée punition. Et ne parlons même pas des riffs tourbillonnants et ultra-techniques de ''Sworn To The Black'', de l’agression pure d’un ''Blood On My Hands'', ou d’un ''Lion’s Den'' qui propose des riffs variés et fracassants de bout en bout. Difficile de les décrire de manière plus précise tant ils ont été copiés et recopiés à l'infini depuis cette époque, mais les faits sont là : près de 25 ans après, ils n'ont rien perdu de leur impact et de leur noirceur empreinte de mysticisme. D'autant que Trey ne faisait pas que bombarder sur Covenant. En effet, sur l’intro et le premier couplet de ''World Of Shit (The Promised Land)'', et sur l’intégralité de ''Gods Of Emptines'', le maitre riffeur nous gratifie de séquences quasi-inédites pour l’époque : des riffs lents, lourds, écrasants, pleins de groove et de feeling : du pur génie, ajoutant encore à la dimension occulte de cette galette. Certes, Obituary pondait aussi des riffs pesants, mais de façon infiniment plus néanderthalienne. Bref, à l'image de ses deux comparses, et peut-être plus encore qu'eux, Trey était à ce moment précis au zénith du death metal, son seul rival (le regretté Schuldiner) étant déjà parti voguer vers des horizons tout aussi passionnants, mais nettement moins bourrins et supersoniques (rappelons qu'en 93, Death sort Individual Through Patterns).
On a donc fait le tour du casting, ce qui nous a permis de tirer les principales lignes de force de cet album, qui sont légion. Reste à parler du sort qui fut réservé à cet album, et de l’enrobage sonore, sur lequel on passera rapidement, tant tout à déjà été dit sur le fameux Morrisound floridien qui vit passer dans ses studios quasiment tous les groupes de death (et de grind) de l’époque : le boulot est typique de la période, avec un son un poil bordélique mais pas trop, dynamique, clair et organique au niveau de la batterie, et laissant la part-belle aux guitares et à la voix. La basse, pour sa part, a un peu tendance à aller se faire foutre (comme dans la plupart des productions extrêmes d'alors), sans que cela n’atteigne la qualité de l’ensemble. Enfin, et s'agissant du destin de cette bête indomptable et révérée, notons que c’est le premier LP sorti par Morbid hors de l’écurie Earache, et que c’est assez largement celui qui aura le mieux réussi le passage chez une plus grosse écurie (Giant Records), du moins en termes de ventes pures. Covenant fait en effet un énorme carton : plus de 200 000 copies vendues aux USA au tournant des années 2000, alors que Death ne dépassera jamais les 70 000 malgré une signature plus précoce chez Sony. A titre de comparaison, dans le même temps Carcass sortait l’exceptionnel Heartwork chez Columbia, lequel fit pourtant un pu-tain-de-four, pour n'être finalement reconnu à sa juste valeur que des années plus tard (Walker et sa bande inventant plus ou moins le melodeath sur ce magnum opus). Quant à Napalm Death, quatrième immense groupe de l'époque, et parti lui aussi chez Columbia, il se plantera un peu tristement avec le pourtant correct Fear, Emptiness, Despair (jugé, tout comme son prédécesseur Harmony Corruption, trop death pour les fans de grind, et vice versa), ce qui ne les empêchera néanmoins pas d'avoir la carrière que l'on sait. Tout cela pour dire qu'à la fin de la journée, sur tous les plans et même les plus triviaux, Covenant est et demeure l'album de death le plus intouchable de tous les temps à mon sens. A jamais une des plus lourdes pierres angulaires du genre.
On aurait pu épiloguer pendant encore quelques éons sur le sujet, mais il faut conclure : vous en savez désormais un peu plus sur cet album monumental, sur cet arrêt obligatoire sur la route de la connaissance des musiques extrêmes pour tout metalleux qui se respecte. Bien entendu, l’histoire ne s’arrête pas là, et Morbid angel sortira encore quelques bonnes poutres après ce monstre de Covenant, les fantastiques Domination et Gateways To Annihilation en tête. Hélas, cela se gâtera assez nettement par la suite, avant de toucher le fonds du bocal de glaires sur l’innommable Illud Divinum Insanus. Gageons que l’avenir sera meilleur pour ce combo indépassable, même si à cette heure on n’en prend hélas pas du tout le chemin. En effet, l’actualité du grand Morbid se limite ces jours-ci à une triste guégerre entre Azagthoth et Vincent, chacun ayant tracé de son côté et s’insultant plus ou moins par médias interposés, Vincent ayant visiblement décidé de monter un groupe pour jouer les vieilles compos de la grande époque, et Trey poursuivant sa route vers un avenir incertain. Pitié les mecs, ne nous faites pas une Entombed.