Nous y voilà, 1991. L’année charnière pour le death metal. L’année de sortie d’une tripotée d’albums considérés comme des classiques, dont celui-ci fait partie, et de nombre de nouveautés plus ou moins oubliées et/ou intéressantes. Cela-dit, en ayant sorti Altars Of Madness deux ans auparavant, la formation de Floride avait déjà balancé un joli pavé dans la mare, et nul doute que nombre de regards étaient encore fixés sur la suite de la carrière de l’Ange Morbide.
Au début, c’est la surprise. « Euh, quoi ? C’est quoi ce riff tout naze et lent ? Où sont les accélérations mortelles ? ». Il est vrai que "Fall From Grace" est assez atypique lorsque l’on ne connaît que le précédent opus, mais une fois acclimaté, l’ambiance délétère saute à la figure. Toutefois, les blasts ne sont jamais bien loin non plus. C’est d’ailleurs la ligne directrice de Blessed Are The Sick : instaurer des ambiances. Dans les faits, grâce au talent d’Azagtoth en la matière, cela fonctionne plus que bien… sur les titres death. Blessed Are The Sick est en effet divisible en deux parties : les morceaux de death metal purs, et les interludes, qui sont pour le coup nombreux . Mais, 1991, et des fonds pas forcément conséquents obligeant, les deux aspects ne se valent pas forcément du côté de l’intérêt. Donc, dans les titres death, on assiste à un équilibre quasiment parfait entre riffs doom/death écrasants mais pas le moins du monde ennuyeux, et les parties plus franches du collier ("Brainstorm"), pour lesquelles la capacité du groupe est déjà connue. Avec la production, signée Morisound, qui rend la batterie sèche comme une trique, les guitares acquièrent un son particulier, en plus de la patte d’Azagtoth, qui fait encore plus ressortir l’aspect démoniaque des titres. Blessed Are The Sick est donc le début de la maturité pour le groupe, qui trouve la forme classique des titres qu’il présentera à l’avenir, et devient, avec Incantation, un des premiers groupes de death à dégager autre chose que de la brutalité par l’intermédiaire de ralentissements massifs, et de riffs asymétriques.
Ceci est également en partie dû aux solos de guitare, nettement moins chaotiques qu’auparavant, plus mélodiques, et surtout décochés comme autant de leads funèbres. Le growl de David Vincent, encore férocement ancré dans le guttural, n’aide pas vraiment comme le ferait un Craig Pillard, mais au moins ne gêne-t-il pas le travail des autres instruments. De même, Pete Sandoval n’entache pas du tout sa réputation, en offrant toujours des blasts, qu’il a inventés, rappelons-le, alternés avec des roulements supersoniques, et du pattern thrash décoiffant. Concernant les interludes, deux sont principalement à retenir. "Doomsday Celebration" cadre parfaitement avec ce que l’album cherche à faire passer, malgré des sons de cuivres qui ont pris un sacré coup de vieux. Le second est "Desolate Ways", morceau purement acoustique, où les mélodies s’enchaînent et laissent sans voix, sorte de petit refuge permettant d’échapper au déluge. Ce titre illustre parfaitement l’expression « un peu de douceur dans ce monde de brute » pour le coup. Même le dernier titre, qui lui aussi sent le clavier, n’est pas si mal. Heureusement, au final, les titres de pur metôl représentent la plus grosse part du disque, et leur niveau élevé permet de garder la barre placée bien haute, et de toiser la plupart des tâcherons armés de leur disque semblables les uns aux autres. Eux jouent ; l’Ange domine.
Ce n’est donc pas à tort que Blessed est considéré comme un classique. Première véritable démonstration de la maîtrise de l’Ange après un brulot de jeunesse tout à fait digne, il dévoile la musique du groupe telle qu’elle sera pendant la plupart de sa carrière discographique, avant les changements récents que l’on sait. Bardé de titres efficaces, eux-mêmes remplis de riffs tous plus intéressants les uns que les autres, et surtout personnels, l’album, malgré un nombre certain de compétiteurs, demeure comme une des œuvres les plus marquantes du death metal floridien.