« Trahison ! Chers corbeaux ! Aux armes, citoyens ! Ce qu’a fait le sieur Eldritch ? Non mais écoutez-moi ça ! Bla bla bla bla bla bla bla… perdu l’esprit… bla bla bla bla bla bla bla bla bla… presque joyeux, vous vous rendez compte ? bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla… »
Trente ans ont passé. J’ose enfin réécouter ce que j’avais, à l’époque, comme bien d’autres, pris pour un crachat dans la gueule. Sisters, nos Sisters, avaient osé faire un album résolument « commercial », selon la terminologie de l’époque, comprendre donc résolument mainstream. Le problème, pour une chronique d’un album pas écouté depuis des lustres, c’est de bien séparer l’effet nostalgie, de l’effet qualité musicale. Une fois correctement isolée la projection mentale qui vous transporte instantanément dans le monde d’avant, agité et sacrément idéalisé, il est alors possible d’émettre un jugement sur la qualité de la chose, de la vision chose", même, dans ce cas. Et en fin de compte, ce Vision Thing, dernier méfait de la créature d’Eldritch est… bon. Incontestablement mainstream, presque plus hard rock que gothic rock -j’exagère-, mais il est bon, sacré nom d’un chien ! Alors, oui, on n’atteint pas la sublime et douce noirceur poétique des deux œuvres précédentes, ni d’"Alice", ni de "Temple of Love", ni de Gift, mais Vision Thing est un bon album. Bourré de chœurs féminins, chœurs tendance… soul (oui, oui) sur "More", rempli de mélodies « faciles ».
Un titre comme "Detonation Boulevard", avec ses « bang ! bang ! » et son côté desert rock, western rock de pacotille, pique un peu : on y perçoit une insulte voilée au sublime Dawnrazor de vous savez qui. Et, bien sûr, Dawnrazor est mille fois meilleur, mais la peau ne ment jamais : les frissons que m’y procurent les chœurs de Maggie démontrent que, dans le fond, j’aime beaucoup ce titre. Beaucoup plus de ce que j'oserais avouer en public. Des huit titres, seul le dernier me débecte réellement, mais ça, c’est normal : on y sent le Nick Cave frelaté, et je n’aime déjà pas le bon Nick Cave. Même l’autre titre nickcavien, "Something Fast", se laisse écouter. L’entrée en matière, "Vision Thing", est percutante, "Ribbons", seule réminiscence réelle des œuvres passées vous caresse dans le sens du poil, "When You Don’t See Me" aurait pu être chanté par Coverdale avec Whitesnake, tandis que "More"… Ça fait mal hein, de voir "More" dépasser "Lucretia" ou "Marian" au nombre d’écoutes sur Spotify, mais il faut le reconnaitre, cette guimauve noire est délicieuse…
Il aura fallu trente ans pour que je l’admette, mais c’est un fait. Vision Thing est un album plaisant, bourré de refrains imparables et d’une simplicité redoutable. Et puis, dans le fond, c’est un moindre mal : Sisters of Mercy n’a produit qu’un album 100% grand public, de qualité, qui plus est. On n’aura pas eu la tristesse de voir la créativité du groupe se désagréger à l’état de flaque malodorante, comme avec BEAUCOUP de groupes encore présents sur la scène rock, bien que morts à l’intérieur. Les sœurs de la Miséricorde, elles, ont tiré leur révérence depuis belle lurette. C’est parfait.