Chronique : Magma Kãrtëhl (2022)

CHRONIQUE PAR ...

Merci foule fête
Cette chronique a été mise en ligne le 31 mars 2023

Sa note : 16/20

LINE UP

-Christian "Vander" Vanderschueren
(chant+batterie+tambourin)

-Stella Vander
(chant+carillon à vent)

-Caroline Indjein
(chant)

-Isabelle Feuillebois
(chant)

-Laura Guarrato
(chant)

-Sylvie Fisichella
(chant)

-Hervé Aknin
(chant)

-Rudy Blas
(guitare)

-Simon Goubert
(claviers)

-Thierry Eliez
(claviers)

-Jimmy Top
(basse)

TRACKLIST

1) Hakëhn Deïs
2) Do Rïn Ïlï Üss
3) Irena Balladina
4) Ẁalomëhnd⁄ëm Ẁarreï
5) Ẁiï Mëlëhn Tü
6) Dëhndë

DISCOGRAPHIE

1001° Centigrades (1971)
Mekanïk Destruktïw Kommandöh (1973)
Köhntarkösz (1974)
Üdü Wüdü (1976)
Kãrtëhl (2022)

Magma - Kãrtëhl

(2022) - rock jazz zeuhl - Label : Seventh Records

L’effervescence perplexe des débuts s’est estompée mais qu’importe, Magma continue d’avancer, avec la sérénité d’un collectif ayant dépassé le demi-siècle d’existence. Depuis sa réactivation au début des années quatre vingt-dix, Christian Vander et son personnel évolutif progressent par à coups, retravaillant et complétant les créations anciennes tout en proposant des œuvres nouvelles. Il en est ainsi de Kãrtëhl, quinzième réalisation en studio de l’un des groupes les plus originaux en activité.

La parution de Zëss en 2019 semblait indiquer la fin de la mise à jour des inspirations ambitieuses de jadis, tout en posant l’hypothèse d’une orientation orchestrale. Ni l’une ni l’autre, évidemment, ce n’est pas dans sa huitième décennie que Vander l’imprévisible va faire dans la continuité. Deux compositions présentes sur Kãrtëhl ont été ébauchées à la fin des années soixante-dix, alors que Magma s’imprégnait d’une légère coloration funky qui déteindra franchement sur le controversé Merci en 1984 : "Dëhndë", final plutôt tranquille aux inflexions vocales enjouées et "Hakëhn Deïs", ouverture au tempo soutenu, dont le thème solaire fait songer au référentiel "Ïma Süri Dondaï" sur Mekanïk Destruktïw Kommandöh… et au générique de Love Boat – fin des seventies, pour mémoire. L’alternance entre les chants masculin et féminins contribue à apparenter le morceau à du couplet-refrain, pourtant guère en usage dans la maison. La belle entame est confirmée par une conclusion à double détente qu'amorce le chœur des femmes emmené par Stella Vander dans une montée vertigineuse vers les aigus, aiguillonné par une battue nerveuse et gorgée de cymbales typique du maître de cérémonie qui achève le morceau de ses roulements caractéristiques tonifiant une séquence de scat.
Les compositions a priori plus récentes sont relativement diversifiées, même si une certaine continuité gracieuse se poursuit sur "Do Rïn Ïlï Üss" écrite par le chanteur Hervé Aknin, et sur "Irena Balladina", hommage à la mère de Christian Vander et dont les premières mesures évoquent celles de "Kobaïa", l’« hymne de Magma » ainsi que le présentait Klaus Blasquiz lorsqu’il officiait derrière le micro. Contretemps et variations pour la première, fluide mélancolie pour la seconde, les deux occurrences donnent la sensation similaire d’une navigation douce, dénuée de but précis mais plaisante. Le claviériste Simon Goubert remonte aux sources de Magma avec "Ẁiï Mëlëhn Tü", voix aiguës stressées sur tempo pesant, avant une éclaircie de plus en plus large débouchant sur un joli dialogue masculin-féminin et un léger emballement durant lequel le son de la guitare de Rudy Blas réussit à se faufiler.
Quant à "Ẁalomëhnd⁄ëm Ẁarreï" issue de l’imagination de Thierry Eliez, l’autre préposé aux claviers, elle aurait constitué une suite tout à fait crédible à Köhntarkösz (1974) dont est convoqué le lancinement funèbre, irisé d’une chorale faisant songer à une version en kobaïen, la langue de Magma, de I’hallucinant "I Am The Black Gold Of The Sun" de Rotary Connection. Puis s’installe une scansion à la fois lourde et sèche, rampante et incisive, obstinée, dominée par la batterie mais aussi la basse impressionnante de Jimmy Top, fils de Janick qui fit partie de l’effectif de Magma durant l’âge d’or auquel il a contribué avec son impitoyable "De Futura". Le morceau s’achève sur une accélération finale qui le laisse à nu, l’ultime percussion laissant la place à la voix d’une femme, celle qui a réveillé Magma il y a trente ans d’une torpeur que l’on croyait irrémédiable.

Ni synthèse, ni archive, recyclant le passé pour accoucher d’un présent autarcique, Kãrtëhl intrigue, bouscule et séduit. Parfaitement en phase avec le corpus intense de Magma, le millésime 2022 délivré par la section zeuhl procure une immersion immédiate dans sa sphère singulière de jazz rock mâtinée d’influences classiques et, ici, de parcimonieuses sonorités funk incorporées de manière convaincante. Le refrain à siffloter sous la douche n’est toujours pas au programme mais Christian Vander et ses complices confirment, une nouvelle fois, que le plaisir musical se découvre sous des formes différentes et dans le cas de Magma, uniques.