Il en aura fallu du temps à Peterson et à ses gars pour pondre un nouvel album ! 9 ans précisément, 9 grosses années bien longues depuis la sortie du dernier album en date – The Gathering – qui avait reçu un très bon accueil à l’époque… ce qui était tout à fait mérité. À lire la presse et les webzines métal, la valeur aurait tendance à s’acquérir avec le nombre des années, contrairement à l’adage bien connu. Diable, si c’est vrai, ce The Formation of Damnation doit sacrément péter le feu !
Commençons par mettre les choses au clair : je ne suis pas d’accord avec le principe qui veut que « plus on attend un album, meilleur il doit être à sa sortie ». The Gathering est sorti en 1999 : si The Formation of Damnation était sorti deux ans après – ou un an, ou six mois, peu importe – j’aurais eu à l’époque les mêmes exigences vis-à-vis de cet album que celles que je peux avoir aujourd’hui. Ni plus, ni moins. Prenons un exemple. Claude François ressuscite et balance un nouveau disque : je ne suis pas sûr que la masse des ménagères l’accueillerait avec des exigences extrêmes. Bon ok, c’est complètement tiré par les cheveux, et c’est aussi pertinent que de comparer Frank Lebœuf à Laurent Blanc, mais vous avez compris l’idée. L’important, c’est la tête du client. Il y a les groupes qui nous ont habitués à sortir de la bonne came – Testament en fait partie et ceux-là, on les attend au tournant – et ceux qui soufflent régulièrement le chaud et le froid, pour lesquels on ne se prend plus la tête (Megadeth, Metallica). Point barre. Les années d’attente n’ont rien à voir là dedans.
Maintenant que mon petit paragraphe de réflexion bancale est bouclé, nous pouvons nous attaquer à la face nord : définir à gros traits les contours de l’album. Facile, car après m’être envoyé quelques écoutes dans le cornet, ce fut la révélation : The Formation of Damnation n’est pas un nouvel album de Testament au sens strict du terme, c’est plutôt une compilation de tout ce que le groupe a su faire de différent par le passé. Autrement dit, pas mal de choses, car le style de Testament – plus que celui de n’importe quel autre groupe de thrash majeur, Voivod et consorts mis à part – est vivant, évolutif, opportuniste même, diront certains. On retrouve donc tout au long de ces 11 titres de gros morceaux de power mélodique façon Low, du groove à la Practice What You Preach et des passages hargneux mâtinés de beuglements death comme sur The Gathering … j’en passe et des meilleures. On sent le poids de l’expérience, née des longues heures passées sur scène à ressasser les mêmes pans d’un répertoire pas si étoffé que ça. Le concept passe-partout d’album de la maturité n’est pas loin.
Mais je ne vous ferai pas cet outrage. Non, parce que cela impliquerait la notion d’album testament (ha ha), ou de synthèse parfaite de ce qui fait l’identité musicale du groupe si vous préférez. Ce qui serait un tout petit peu exagéré. Surtout, cela impliquerait que l’album soit proprement incontournable, ce qui n’est pas le cas. Soyons honnête : The Formation of Damnation n’est pas la tuerie que l’on pouvait espérer, c’est juste un album correct. Le minimum prévu par le cahier des charges, quoi. Pourtant, au début, ça se passe bien. Le thrasheux pantouflard qui sommeille en nous se réjouit très facilement de la bonne tenue de l’ensemble. Vautré dans son canapé, il jubile après chaque solo du revenant Skolnick. La frappe lourde de Bostaph le fascine, et sitôt les breaks absorbés, c’est la voix grasse et rocailleuse du père Billy qui le fait frissonner. Mais une fois ou deux. Parce qu’après – un peu comme si vous vous leviez aux côtés d’une morue un lendemain de cuite – les « p’tites » imperfections vous pètent au museau, sans sommation.
Enfin j’abuse, ce n’est pas aussi immédiat. C’est même beaucoup plus diffus, comme la sensation troublante d’avoir oublié ses slips juste avant de partir pour un séminaire de 8 jours. Le tryptique "The Evil Has Landed"/"The Formation of Damnation"/"Dangers of the Faithless" résume très bien le problème, je crois. Les deux premiers sont plombés par des enchaînements maladroits entre les riffs et les passages lead. Pire, les solos donnent l’impression d’avoir été composés bien avant les morceaux - ou à part - et dispatchés au petit bonheur la chance. Tant pis si le reste du groupe rame comme des malades derrière ! Le troisième, lui, traîne péniblement ses 6 minutes à grands coups de ponts interminables. Sans convaincre bien évidemment, mais surtout sans imprégner les esprits. Et c’est ça qui est terrible finalement avec The Formation of Damnation, c’est que ça a beau tabasser dans tous les sens, partir en solos, en gros plans techniques – pas toujours très bien pensés d’accord, mais pleins de jus – il ne reste après chaque écoute qu’un vague sentiment de déjà entendu. Comme une sensation de platitude, qui rend pressant le désir de passer à autre chose.
Ce que l’Histoire retiendra, c’est que The Formation of Damnation est l’exemple parfait de l’album que l’on achète sciemment, sans honte aucune, et qui finit inévitablement par disparaître aussi bien de la mémoire de ses propriétaires que sous une épaisse couche de poussière. Le thrash – comme tous les autres styles d’ailleurs – en compte des dizaines (Youthanasia, Divine Intervention, le dernier Exodus, parmi tant d’autres), tous sympas à écouter de temps à autre … Encore faut-il avoir l’idée de le faire.