Sorti moins d’un an après Kid A, Amnesiac vient prolonger la parenthèse expérimentale qu’avait entamée son prédécesseur, sans toutefois parachever ou approfondir la voie dans laquelle Radiohead s’est lancé. Et pour cause: le matériel présent sur ce disque provient des mêmes sessions qui ont enfanté le Kid A en question. Ce coup des deux albums, était-ce prévu bien à l’avance par ce grand sorcier de Thom Yorke? Ou ne parvenait-il pas à faire l’impasse sur ces autres titres qui lui semblaient si bons, qu’ils méritaient bien, eux aussi, d’être mis sur le marché? Quoi qu’il en soit, on aura du mal à voir en Amnesiac autre chose qu’un appendice du précedent album; un appendice certes très sympathique mais loin de constituer une étape incontournable de leur parcours…
Et une bonne partie des morceaux proposés est à l’avenant: bien troussés, mais sans réel génie. Des exemples? "I Might Be Wrong": riff de guitare accrocheur, rythmique impec… Et pourtant ça ne décolle pas. C’est plaisant à écouter, on sent qu’une ambiance s’installe… Mais on n’est pas emporté corps et âme. "Dollars And Cents": même topo. On sent la menace ramper, mais malgré les renversements, les emportements du morceau, jamais elle ne nous prend à la gorge. "Knives Out", qui renoue avec le Radiohead à guitares, et se veut désespérant; mais c’est de facture trop classique, trop monotone pour qu’on se laisse emporter. Et le morceau d’ouverture, au titre bien trop long pour que je prenne la peine de le recopier ici (quoique, finalement, ça m’aurait pris moins de temps que ce que je viens d’écrire… mais je m’égare), paraît bien plat à côté du "Everyhing In Its Right Place" qui ouvrait Kid A. Des percus, des bruitages, un thème séduisant, encore une menace qui sourd… Et ça s’arrête là. En fait, ce serait… presque trop sage! Bien moins jusqu’au-boutiste que ce qui avait été proposé sur l’album précédent… D’autant plus que l’effet de surprise ne joue plus.
Des titres qui nous laissent sur notre fin; mais aussi des « trucs » qui surprennent de par leur complète inutilité. Passons sur l’anecdotique interlude "Hunting Bears" (quelques accords de guitare passablement grattés), mais que penser d’un truc aussi mal torché que "Pull/Pulk Revolving Doors", mix improbable entre musique d’ascenseur et bidouillage électro/boite-à-rythmes réalisé en cinq minutes chrono? Le genre de sous-sous-face B qui aurait dû rester au fond d’un carton, pour ne jamais en ressortir, jamais. Dans le genre fantaisie électro-arty, on lui préfèrera nettement le cinglé "Like Spinning Plates": imaginez Robert Wyatt se mettant aux musiques électroniques… Sauf qu’en plus le morceau est passé à l’envers. Le résultat est assez fascinant, et pour le moins original, même si on ne se lèvera pas la nuit pour l’écouter.
Et de très bonnes choses, il y en a sur ce Amnesiac. Des morceaux qui vous renversent, vous font quitter l’atmosphère terrestre, ou presque… Il y en a, malgré tout. Il y a ce "Morning Bell", déjà présent sur Kid A, ici dans une version sous Tranxène, sur un petit nuage halluciné, entre le rêve et la réalité, dans un paradis perdu; une version alternative bien supérieure (mais je dois être un des seuls à le penser…) au morceau original, plus terre-à-terre. Il y a le formidable "You And Whose Army?", au parfum rétro absolument irrésistible… Nous voici dans un cabaret, seuls avec le groupe et des chœurs lointains sortis de nulle part, et ce fichu Thom Yorke qui nous dévisage… Oui, pour le coup, on est littéralement transporté. Et puis c’est l’explosion, le piano rugit, et nous voilà sur une montagne surplombant l’humanité toute-entière, et Thom le Messie qui hurle, qui nous transperce le cœur, avant que tout s’apaise… Magnifique.
Et "Pyramid Song" ? Comment se priver de "Pyramid Song", ce morceau irréel au rythme qui ne l’est pas moins, une histoire à laquelle on ne comprend rien, mais quelle importance, après tout? Il suffira de quelques notes au piano pour se laisser prendre par cette atmosphère sombre et incroyable, alors que les cordes et les Ondes Martenot nous guideront à travers les méandres de ce titre impossible et qui, jamais, ne subira les outrages du temps. Aucun bidouillage parasite, aucun effet électronique « tendance », non, juste une grande, très grande chanson, qu’on peut sans peine ranger parmi les chefs-d’œuvre du groupe. De là à dire qu’il justifie impérativement l’achat de l’album… D’autant plus qu’il a été issu en single, et qu’il ne manquera pas d’apparaître sur un futur Best Of (bah oui, ils finiront bien par en faire un…)
A vous de voir. Si vous avez adoré Kid A, vous pourrez certainement trouver un peu de bonheur dans cette galette… Mais ne vous attendez pas à être retourné.