Il y a eu OK Computer… sans doute l’un des albums les plus importants des années 90, un chef d’œuvre de mélancolie malade, planant 1000 pieds au-dessus de tout ce qui faisait à l’époque… et là où bien d’autres n’auraient su continuer ou auraient ressassé infiniment le même album (en moins bien, évidemment), Radiohead a tout risqué, tout rejoué, pour nous offrir Kid A, et ses incursions électroniques, audacieuses même si pas toujours heureuses… Amnesiac, sa suite logique, plus faible, mais d’une importance capitale pour la suite : après ça, tout leur était permis, et par la même occasion, personne ne saurait à quoi s’attendre pour l’avenir...
Et il est là, ce nouvel album, ce Hail to the Thief… il est là, et il passe… il est passé maintes fois, et il repassera encore… il aurait été difficile de s’attendre à quelque chose de mauvais de leur part, mais pouvait-on prévoir un tel niveau d’excellence, proche de…OK Computer justement ? Ces 14 titres représentent, d’une certaine manière, ce que devrait être le rock du XXI siècle : l’évolution, en quelque sorte. Car ne croyez pas à un retour aux sources : des chansons pop de 3 minutes ? Oui, mais tordues, tarabiscotées, troublantes… et merveilleuses.
Les mélodies, contrairement à Amnesiac n’ont pas été laissées de côté, et elles sont, pour la plupart, d’une grande beauté… mais les expérimentations sont toujours là : simplement, elles sont toutes abouties, judicieuses, et servent la musique avant tout ; lumineuses ou spleenesques, elles subliment tous les aspects mélodieux des différents morceaux, comme ce clavier sur "Where I End & You Begin", typiquement eighties et déprimant ; réminiscence du "Love Like Blood" de Killing Joke ? Allez savoir… et ces claps de main sur "We Suck Young Blood", terriblement malsains… ou alors, ça peut virer carrément électro ("The Gloaming") et devenir superbement obsédant…
Mais parfois, les guitares prennent le dessus… pour le meilleur, on s’en doute. "2+2=5", incroyable morceau d’ouverture, qui en un peu plus de 3 minutes se permet d’inclure pas moins de 3 segments différents ; ça part mélancolique, ça de vient énergique et ça finit carrément furieux ; ça vous prend pour vous laisser K.O. debout, hagard, proche de l’extase ; dantesque ! "Sail To The Moon", rêverie à bord d’un vaisseau fantôme… piano et guitare nous accompagnent dans une ballade fantastique, qu’on aimerait prolonger à l’infini… "Scatterbrain", peut-être le morceau le plus « classique » de l’album, mais tellement émouvant… profitons-en pour dire que Thom Yorke chante maintenant d’une voix plus assurée, mais toujours aussi poignante… certes il agacera certains, mais pour ma part, elle me fait toujours autant d’effet.
Cet album, donc, part un peu dans toutes les directions ; alors, selon vos préférences, certains titres vous plairont moins que d’autres ; j’ai, par exemple, un peu de mal avec "A Punch-Up At A Wedding" dont le style ne me convient pas, mais n’empêche que le titre reste plaisant, et réussi dans son genre ; comme toutes les autres, finalement ! D’un point de vue objectif : rien n’est à jeter, et tous les morceaux excellent dans leur catégorie ; oui, on a l’impression que Radiohead, quoi qu’il fasse, ne peut plus se planter : comme s’ils avaient parfaitement assimilé les élements du rock, et même au-delà. Il n’y a, dans ce disque, rien de pompeux, rien de superflu, rien d’inutile ; c’est bourré de petites perles, des mini-merveilles.
Et pour répondre à la question que vous vous posez tous : oui, ça pourrait se rapprocher du progressif, si du moins on ne s’en fait pas l’idée d’un éternel revival : c’est complexe ; mais c’est une complexité qui préfère se voiler plutôt que s’afficher ; c’est risqué, ambitieux, mais bien plus sur le fond que sur la forme. Encore une fois, ça pourrait, ça devrait même, être l’avenir du rock. Pour ma part, c’est ici la musique que quelque part je rêvais d’entendre, le compromis idéal entre prise de risque et sens de la mélodie ; ça marche à fond dans mes oreilles, et je suis prêt à parier que ça marchera également pour vous.
Alors, chef-d’œuvre ? Dans la mesure où il ne se montre pas aussi fondamental que pouvait l’être OK Computer, le terme pourrait être exagéré : reste qu’on frôle par moments la perfection mélodique, que ce disque reste passionnant à écouter de bout en bout ; de plus, j’estime que l’audace doit être récompensée : chef-d’œuvre mineur, donc.