Il est des évènements auxquels personne n’aurait cru s’ils n’étaient pas arrivés. Des révolutions que personne n’aurait pu prévoir, pas même la plus douée des voyantes équipée de la plus grosse des boule de cristal. Dans le monde de la musique, comme dans tous les domaines, il y a ceux qui explorent, qui défrichent, qui expérimentent. Ces groupes là, instables par nature, sont comme des électrons libres, imprévisibles et parfois difficiles à suivre. Et puis il y a les autres, ceux qui restent ancrés sur un indéracinable piédestal, véritable monolithe autour duquel les fidèles restent prostrés, rassurés par l’éternelle présence de leur inamovible idole. Alors quand un matin une fissure apparaît et que l’aube d’un changement se fait jour, il est légitime de craindre la venue de l’armaggedon…
Depuis la fin des années 80’, venus de la chaude Floride avec Death, Morbid Angel et Obituary, Deicide nous assène ses hymnes sataniques sur fond de musique d’apocalypse. Pratiquant un death metal sans concession, saupoudré de blast beat et du growl si râpeux du père Benton, le groupe suivait sans quasiment dévier d’un iota leur recette avec une évidente réussite. Jalonnant leur parcours de succès (citons pour mémoire Once Upon The Cross, Legion ou encore Serpents Of The Light), Deicide défrayait souvent la chronique par des actes et des attitudes extrêmes, des paroles et des visuels provocants, clairement destinés à choquer la brave mère de famille. Entre annonce de suicide programmé (non effectué), scarification sur le front, appartenance à diverses sectes anti-chrétiennes et autre artifices scéniques à base de bouts d’animaux morts, Deicide a toujours développé un folklore satanique qui enrobe la musique du groupe et lui donne une identité, à l'instar du gore pour Cannibal Corpse.
Deux ans après le très bon Scars of the Crucifix, le joyeux Benton et ses amusants compères sont de retour et, semble-t-il, ne sont pas contents. Première constatation rassurante, la pochette reste bien dans l’esprit du groupe, avec ses symboles morbides et ses références Chrétiennes provocantes, mais passons, on a déjà vu pire et ce n’est pas cette image (presque soft, finalement) qui les fera tomber sous le coup de la censure. Seconde constatation, les massifs frères Hoffman ne sont plus de la partie. Parait-il, d’après eux, que Glen Benton aurait renoncé aux principes du Satanisme et ne serait plus assez « true »…hum. Laissons de côté ces querelles d’églises et voyons qui sont les petits nouveaux. Eh bien, rien moins que Jack Owen (de Cannibal Corpse) et Ralph Santolla (qui a joué dans Death et Iced Earth) après un passage éclair de Dave Suzuki (Vital Remains). Bref, des pointures, comme on dit chez le cordonnier.
Et c’est de là que naît le changement tant redouté : car si les frères Hoffman étaient impressionnant d’efficacité, on a affaire cette fois à d’excellents techniciens beaucoup plus versatiles. Que le fan se rassure : Deicide reste Deicide, et il n’est pas question de changer radicalement une recette qui marche. Toutefois, de petites améliorations apparaissent : soli mélodiques et riffs un cran plus techniques et variés, bref, un bon coup d’air frais dans l’usine du père Benton. Le titre homonyme de l’album en est une excellente illustration, avec son long chorus à deux guitares suivi d’un solo bien plus proche d’un album heavy que de death traditionnel. Pourtant la violence reste omniprésente : les furieux blasts de "Death To Jesus", et de "Never To Be Seen Again", l’intro très Slayerseque de "Homage For Satan" et les arpèges de guitare acoustique de "The Lord’s Sedition" qui font immanquablement penser à Iced Earth. On est même parfois surpris par des riffs qui sortent vraiment de l’ordinaire pour du Deicide ("Never To Be Seen Again" fait penser à du Death époque Human en version survitaminée) et qui au final se révèlent être, avec le growl de Glen, un mélange explosif.
Mais certaines choses ne changent jamais, et c’est tant mieux. La voix de Benton reste fidèle à ce qu’elle était, et on retrouve les mélanges de voix death doublées en voix black qui sont l’une des marques de fabrique du groupe. La batterie n’est en rien innovante, rapide, efficace et tout à fait représentative de ce que le groupe nous a offert jusqu’à maintenant, la basse en retrait voire inaudible. Ce qui soit dit en passant est dommage, tant la production de l’album est puissante, massive, et moins étriquée que sur Scars of The Crucifix. Plus heavy, plus lourdes, les guitares se détachent du reste et créent une muraille de décibels dont le but avoué est de récurer les oreilles de l’auditeur. Bref, les ingrédients ont un peu changé mais la recette reste grosso modo la même : on peut donc affirmer sans crainte que The Stench Of Redemption marque le début d’une nouvelle époque pour Deicide et que celle-ci démarre avec brio. Rassurons-nous : l’apocalypse n’aura pas lieu tout de suite, Deicide est encore là, sous une forme légèrement altérée, mais définitivement toujours aussi menaçant et efficace.