Avant de parler musique, parlons un peu histoire. Infernal marque une période charnière du combo suédois, le "début de la fin" en quelque sorte. Intercalé entre le génialissime Crimson où Swanö régna sans partage ou presque et le controversé Cryptic après sa sortie (euphémisons) du groupe. Infernal semble être en quelque sorte l’album "coming out" de la discorde larvée depuis un moment. Il apparaît également comme un album ayant eu recours à des guests de renom, peut-être pour pallier l’absence latente de dialogue musical au sein d’EOS, se traduisant par un ensemble plutôt décousu, alternant des modes d’écriture différents, des perles et des "moyennetés", le tout tentant de ménager l’ego de chacun.
Si l’on évoque les guests, on peut faire une jolie brochette de qualité : Michael Akerfeldt (Opeth) a écrit les paroles de "Forever Together Forever", Jonas Renkse (Katatonia) a fait de même sur "Losing Myself" et Peter Tägtgren a taquiné la guitare sur "The Bleakness of It All", en plus de son travail de mixage de l’album, fort notable par ailleurs. Le fœtus de Bloodbath commence à grandir. Ajoutons à cela Anders Måreby au violoncelle sur "The Last Song" et on obtient également une réminiscence de Unicorn, side project rock progressif avec Dan Swanö. Les connaisseurs qui chercheraient Sami Nerberg, un des guitaristes historique du groupe, ne le trouveront qu’à l’écriture de "Burn The Sun", il n’a pu participer à cet album pour des raisons personnelles.
On pourrait diviser musicalement cet album en trois parties distinctes qui correspondent également à trois line up différents. Le premier, et le meilleur faut-il le souligner car plus en rapport avec l’âme du groupe par ses riffs puissants et mélodiques, est placé sous le signe de Swanö, à savoir qu’il a au minimum écrit la musique (et parfois les paroles) : "Hell Is Where The Heart Is", "15:36", "Forever Together Forever", "Losing Myself" et "The Last Song". C’est également sur ces titres que ses futurs acolytes de Bloodbath ont écrit les paroles. L’autre point assez frappant de cette « partie » est qu’un seul des musiciens du groupe, Benny Larsson l’a accompagné (Dan jouant lui-même), et qu’aucune des paroles associées à ses musiques ne furent écrites par les autres (seulement par des invités plus ou moins célèbres). Gageons que les amateurs de Crimson se retrouveront ici, ainsi que ceux qui apprécient les alternances vocales growl/clair.
La seconde partie, que ne renieraient pas les fans du premier jour, est relativement plaisante, et c’est grandement grâce au growl bien gras et puissant de Swanö qui s’est « contenté » de donner uniquement sa voix, le duo Axelson/Larsson assurant paroles et musiques (avec l’aide de Lindberg et Nerberg épisodiquement). "Damned (By The Damned)", "Hollow", "Inferno" et "Burn The Sun" arrivent à marier comme au bon vieux temps une voix parfaitement en accord avec les riffs rageurs et inspirés des musiciens, distillant un death old school comme on les aimait, francs, diablement efficace et tenant ce son indissociable du groupe. En plein dans la lignée The Spectral Sorrows et Purgatory Afterglow.
La dernière partie, limitée heureusement à "Helter Skelter" et "The Bleakness Of It All", peut à juste titre être considérée comme la naissance de Cryptic, comprenez que Swanö n’y prend pas part, Axelson/Larsson assurant toujours paroles et musiques, mais c’est Axelson qui donne de la voix cette fois. Loin d’être mauvais, son râle plus black que death souffre de la comparaison avec celui de Swanö car banal et en retrait par son manque de coffre. Il ne renouvellera pas l’expérience d’ailleurs, un autre front man fut trouvé sur Cryptic. Musicalement, cette partie ressemble parfois à du vieux Hypocrisy, le mur de guitare et les blasts mitraillés en moins, mais le timbre vocal rappelle un peu Tägtgren.
Déséquilibré serait le mot presque juste pour cet opus, s’il n’avait pas cette connotation péjorative. Les bombes "Swaniennes" contrastent avec les faiblesses de son absence, mais elles sont vraiment réussies à l’instar des titres nostalgiques de l’époque de l’entente cordiale, ce qui aboutit finalement à un bon album, qui aurait pu être bien meilleur si l’on considère son grand frère de 1994. L’après Infernal se traduisit par l’implosion, comme le laissait supposer les frondes internes. Quel dommage… ou pas, car Bloodbath put être fondé et Swanö continuer heureusement son chemin pour revenir à Crimson II, en passant par Moontower.