Qu’arrive-t-il donc à ces chers Portugais ? Depuis quelque temps, Moonspell semble retrouver une seconde jeunesse et revient hanter nos platines à un rythme effréné d’un album par an depuis trois ans : Memorial en 2006, le réenregistrement de compositions issues de la prime adolescence du groupe (Under Satanae, paru l’année dernière) et enfin, Night Eternal, nouvel opus à paraître en ce mois de mai déjà brûlant. Et parmi ces offrandes, un seul dénominateur commun : une énergie et une violence que l’on n’avait pas entendues depuis… jamais, en fait !
Cette dernière remarque n’aura pas manqué de faire tiquer les amateurs du groupe : en effet, jamais Moonspell ne s’était démarqué, jusque là, par la brutalité de ses compositions. Memorial avait déjà amorcé cette nouvelle tendance à la colère franche et massive mais de manière un peu gauche – notamment de la part de Fernando Ribeiro, qui, en utilisant majoritairement son chant hurlé, ne parvenait pas à insuffler cette atmosphère si particulière qui faisait toute la richesse des meilleurs albums du groupe (The Antidote et The Butterfly Effect en tête). De fait, de gros changements en petites évolutions, de coups d'éclat en petits ratés, Moonspell est toujours parvenu, en maintenant dix albums, à renouveler son style tout en gardant son cap et à affirmer son individualité.
Aujourd’hui, Night Eternal ne déroge pas à cette règle de bienséance et prend même des allures de suite logique, au vu des dernières parutions du groupe. Ils l’avoueront à demi-mot : l’enregistrement de Memorial et de Under Satanae a très certainement pesé dans la balance. Le sujet de l’album s’y prêtant également à merveille (la déchéance de notre bonne vieille Terre nourricière, symbolisée par l’entité énigmatique figurant sur le fabuleux artwork de l’album), alors oui, il est de bon ton d’affirmer que ce nouvel opus sera brutal et même, pour une petite moitié, plus virulent que Memorial.
"At Tragic Heights" cueille doucement l’auditeur par une ambiance à la fois dramatique et sombre, à l’aura très cinématographique renforcée par les spoken words sussurés par Ribeiro – cet aspect particulier est une constante depuis The Antidote. Puis le morceau prend soudainement de la hauteur – les nappes de claviers de Pedro Paixao, omniprésentes – et de l’épaisseur – par un riffing lourd comme du parpaing. Cela fait toujours son petit effet, mais depuis Memorial, on ne s’étonne plus de la lourdeur étonnante d’un tel titre. Or, si de parpaing il s’agissait sur ce morceau d’ouverture épique au possible, c’est un mur en béton armé que l’on se prend en pleine tronche à l’écoute du morceau-titre : Mike Gaspar claque un bon gros blast-beat des familles, le chant hurlé de Ribeiro se fait véritablement menaçant – et il se révèlera même, sur Night Eternal, beaucoup plus varié et maîtrisé que sur Memorial – tandis que le riff de guitare principal, monstrueux, prend une coloration death/black inattendue, qui décoiffe littéralement.
Les spectres de Memorial et – allons-y carrément – de Daemonarch, vieux side-project black-metal de certains membres de Moonspell, planent plus que jamais sur une petite moitié de Night Eternal : "Moon in Mercury" possède un refrain effarant de brutalité où Ribeiro nous sert sur un plateau son growl le plus consistant à ce jour, "Hers Is the Twilight" (dont l'intro est assez jouissive), emmène loin l'auditeur avec ses chœurs fantômatiques avant de le prendre par derrière et lui faire prendre une bonne claque sur un pur refrain aux teintes heavy, le furibard "Night Eternal" et son riff central anthologique...Sûrs de leur méfait, les Portugais ne commettent pas l’erreur de reproduire à l’identique le schéma du précédent album, qui s'est finalement révélé trop approximatif. Les morceaux brutaux ont gagné en efficacité et en ambiance et sur l’autre versant de l’album, plus atmosphérique, Night Eternal gagne en concision (le gros défaut de Memorial), en consistance et en pertinence ce qu’il perd en puissance brute.
En effet, les meilleurs morceaux de l’album sont ceux qui proposent un parfait équilibre entre théâtralité et atmosphère, à l’image des hymnes que sont "Hers Is The Twilight", "Dreamless (Lucifer & Lilith)" (le refrain en total accord avec les riffs de guitare ou encore le solo placé en fin de parcours, bordel que ça tue!) ou encore "Scorpion Flower", titres véritablement fabuleux. Ces morceaux nous permettent, en plus d’un duel de voix symbiotique avec Anneke Van Giersbergen sur ce dernier, d’assister au grand retour de la voix claire, grave et si particulière de Fernando Ribeiro. Ces titres mid-tempo, plus emphatiques mais aussi plus ambiants, empruntent à la fabuleuse et fascinante atmosphère qui sévissait sur The Antidote. Éclatant.
Night Eternal déroule ainsi ses neuf compositions sans coup férir et parvient, qui plus est, à captiver sur la longueur en distillant çà et là quelques repères de construction bien sentis (les accords de guitare en clair/obscur qui introduisent la plupart des morceaux, le tracklisting parfaitement équilibré) et en effaçant les menus défauts de Memorial, notamment du point de vue du chant hurlé de Ribeiro, moins foutraque, et de l’atmosphère du précédent album, manquant singulièrement de personnalité. Ici, les claviers sont bien mieux intégrés à l'ensemble sans en faire trop. Comme si cela ne suffisait pas, Tue Madsen, qui demeure un producteur de génie, a cette fois fait l’effort de se mettre au service de la musique du groupe plutôt que de la modifier (le monsieur a tout de même tendance à uniformiser le son des groupes qu'il produit, dernièrement) et ne dénature ainsi en rien le son des Portugais, pour un résultat à la hauteur du talent du bonhomme.
Alors, Night Eternal est-il le messie tant attendu de ceux qui, pour une raison ou une autre, ne suivent plus Moonspell depuis les expérimentations de Sin/Pecado ? Peut-être pas. Les fans de la première époque devront s'y faire: cette période est révolue. Captivant, finement ciselé et extrêmement carré dans l’exécution, Night Eternal figure néanmoins en (très) bonne place parmi les meilleurs albums du groupe et force ainsi encore et toujours l’admiration d’un acteur fondamental de la scène metal, qui, au gré de ses erreurs, parvient toujours au bout de dix albums (!), à brosser une autre perspective de sa musique. Rien que pour cela, Moonspell mérite un respect total.