Ha ha ha. Il est bon d'avoir raison après coup, vous avez remarqué? D'avoir été un de ceux qui ont dit « vous verrez... » sans se planter. Une certaine presse française a fait l'impasse sur Slipknot car le groupe semblait accumuler les "gimmicks" (masques, Ross Robinson, neuf membres, uniformes, prestations live ultraviolentes...) dans le but de séduire les djeunz. Et malheur pour le groupe: la sauce a effectivement pris, et cet album a projeté Slipknot sur orbite. « Slipknot ne saurait être qu'un phénomène de mode » a-t-on lu. Et pourtant, passer sous silence ce vrai-faux premier album (après Mate. Feed. Kill. Repeat.) était une sacrée erreur. Çar dès le début, malgré un album loin d'être parfait, tout est là. Le ton Slipknot est déjà posé, et la musique proposée n'a rien de trendy ou de hype, c'est du BRUTAL. Et du bon (en partie).
Ross Robinson est vraiment une belle usine à murs de son. Son talent derrière les manettes n'est plus à démontrer, et Slipknot est un album qui décoiffe à fort volume. Les guitares écrasent, la basse vrombit (bass boost nécessaire), la batterie martèle et le chant est... énorme. A la fois la prod comme l'organe de Taylor ont marqué une génération entière de hurleurs juste avec cet album. Car le growl du chanteur de Slipknot est terrifiant, et la prise de sa voix sature légèrement dans les aigus. Ce petit "truc" renforce la haine colossale dégagée par ses cris de goret, et n'est d'ailleurs pas repris sur Vol 3 (produit par Rick Rubin).
Sinon, pour la musique, que dire? Les deux bases sont extrême et hardcore. Mais le groupe insuffle une bonne part de néo grâce aux samples, aux scratches, aux quelques passages en chant clair ou rappé, etc. "Spit It Out" est un titre assez connu grâce à son clip ouvertement inspiré de Shining de Kubrick. Ce titre est au final un des rares orientés résolument néo, avec un Taylor qui se paye le luxe de hurler, de faire du chant clair, de rapper et même de rapper en growl (bonjour la respiration!) sur un même morceau. Mais avant ça il y a les cinq premiers titres du CD, et là on est dans l'enchaînement de légende, le truc qui marque dès la première écoute et qui continue aux suivantes. Car si Slipknot a fait son trou et alimenté le bouche à l'oreille, c'était à cause ces cinq (ou six) premières chansons qu'il fallait écouter.
Après l'intro flippante sobrement intitulée "742617000027" débarque un déferlement de violence variée et jouissive comme rarement on a entendu dans un album. Le premier titre "(sic)" déferle avec son riff hardcore écrasant, et ça part tout de suite. On a à peine le temps de comprendre et d'assimiler les informations: le riff est gros, les scratches bien intégrés, il y a quelque chose de frénétique dans le jeu du batteur qui envoie la double et les roulements comme un furieux, et là BAM! La compo démarre vraiment et la haine du chant ainsi que l'effacité brute du riff vous emporte. Slipknot ne joue pas la carte de la formule: dans "(sic)" on trouve onze riffs différents sans compter les reprises. Et la chanson fait trois minutes dix-neuf (!), d'une dynamique impressionnante. L'enchaînement avec le brûlot suivant, "Eyeless", se fait par un sample de jungle sur lequel un riff d'aigus vient se faire rejoindre par une rythmique corrosive. La batterie vient s'enrouler autour du sample, et un titre d'une rare violence et d'une rare inventivité débarque. Je ne comprends pas comment cette double utilisation guitare rythmique/guitare lead dans un groupe que tout le monde voulait classer dans le néo n'ai fait tiquer personne...
...tout ça est suivi par ZE titre mélodico-méchant, "Wait And Bleed", bien popisant par moments, et qui permet de découvrir le timbre clair de Taylor, très lisse et, euh... beau, quoi. Son chant clair n'a rien de métal mais sonne admirablement sur le refrain mélodique. Je précise que la version clean sortie dans les bacs a grandement baissé la part des vocaux hurlés sur la chanson: ici, en dehors des refrains, le reste hurle et frappe. Le riff Slipknot est rythmiquement très méchant, soit en salve soit syncopé pour faire sauter les gens. Et dans le cas de l'hymne "Surfacing", il est composé de deux pauvres notes qui assassinent l'auditeur. C'est fou le pouvoir de deux notes quand elles sont calculées pour tuer les gens (rappellez-vous "Roots Bloody Roots" ou "Refuse/Resist"...). Sur ce riff principal explose-tripes se greffe une boucle aigüe qui rend le tout irresistible. Le refrain vomi «Fuck you all! Fuck this world! Fuck everything that you stand for! Don't belong! Don't exist! Don't give a shit! Don't ever judge me!» est devenu instantanément culte, à raison. Ce truc incarne quelque chose: la haine. De tout.
Bon, le début est irréprochable, okay. Et le reste? Et bien le reste est inégal, sinon cet album aurait dix-sept ou dix-huit et la chro serait deux fois moins longue. Après "Spit It Out" qui casse déjà un peu le rythme tout en étant une très bonne chanson l'album part dans le fourre-tout. C'est expérimental, ça oui... Mais ça ne décolle plus comme le début le laissait promettre, et on se retrouve tout retombé. "Tattered And Torn", "Prosthetics" et "Scissors" sont des compos à ambiance terrifiantes mais qui s'écoutent dans un contexte bien particulier, car elles sont de nature à faire fuir les gens normaux (bruits, hurlements, bruits, hurlements...). Les autres titres s'inscrivent dans la même veine néo-hardcore-extrême catchy que les premiers titres, mais sans en atteindre l'intensité. Ça ne s'étend plus sur un titre, ça devient des moments comme le choeur en clair sur "Me Inside", le pont de "Diluted" ou le court moment d'intro de "No Life". Mais la fin d'album n'est pas du niveau du début, c'est évident.
Si le déchaînement médiatique (surtout aux USA) autour de Slipknot et le succès du groupe auprès des jeunes avait effectivement un côté énervant, passer à côté d'une musique aussi prometteuse à cause de cet énervement était indéniablement un faux pas. Cet album était tout de même un premier opus avec line-up stable, et la dose de violence brute et surtout d'idées présentes dans chaque chanson est incompatible avec l'étiquette "soupe commerciale" que tant ont voulu leur coller. Non, Slipknot a pondu un bon album comme carte de visite, avec suffisamment d'hymnes enfilés comme des perles pour attirer l'attention. Et ils ont par la suite transformé l'essai. Voilà... Ce n'était pourtant pas dur.