L’album mythique de Sun Dial finalement réédité. A l’écoute, ça fout une claque, ce petit groupe british formé en 1990 qui sonne comme s’il tentait de recréer les années 68-76, à base d’acid-rock décalqué sur les Pink Fairies, Doors, Jefferson Airplane voir Stones Roses. Heureusement pour Gary Ramon, le groupe a de la réserve et ne se permettrait pas de nous servir une resucée des années psychédéliques. Car au début des nineties, l’ère psyché est terminée, le grunge est dans la place, il faut savoir avancer… Et pour ce faire Sun Dial en profite, et dès ’90, il frappe un bon coup. Strike.
La première chose à dire: la réédition est parfaite. Le son est bien pourri, les amplis crachotent, les guitares (Hendrixiennes) nous surplombent avant que les claviers (Manzarekiens) nous ramènent brutalement sur terre. On se croirait dans un interminable live de Phish ou du Grateful Dead, seule la batterie (et les excellentes percussions) nous font dire que c’est à du rock qu’on a à faire. Du psychedelic-rock qui fleure bon le paradis artificiel. Difficile d’imaginer un petit blondinet en uniforme jouer un truc pareil! Et pourtant… Gary Ramon s’en sort sans problèmes. Si sa voix est bidouillée à l’extrême (tant mieux, il chante mal), sa guitare elle, n’a pas fini de hurler.
Si les musiciens sont tous bons, Other Way Out reste avant tout un skeud à gratte, un de ceux que tout guitariste se doit d’entendre au moins une fois dans sa vie. Passant par tous les effets enregistrés, Ramon singe tour à tour Clapton (période Cream), Krieger (période Strange Days), ou Hendrix (période vivant). Sur les douze titres de l’album, peu sont ceux qui n’auront pas droit à leur solo. Plus inspirés les uns que les autres, exécutés avec adresse et fougue, parfois même doublés, les soli s’enchaînent, de morceaux catchy en bidouillages techniques, comme autant de cours de guitare à l’adresse des défoncés du monde entier.
Et question guitare, le registre n’est pas limitatif pour notre Gary. Il va chercher ses techniques n’importe où, du chaos fanatisant de "Slow Motion" au crossroad sclérosé de "Lorne Blues", il sait parfaitement ce qu’il fait, où il va, il est le chef d’orchestre d’un drôle de cirque. Epaulé avec brio par la percussion ("You’re So Real") et les claviers ("Plains Of Nazca"), le trio sait faire s’arrêter miss Technique quand arrive madame Prétention. Rarement dans la démonstration pure, Sun Dial touche à suffisamment de domaines (acid-rock, jazz, rhythm’n’blues, pop…) pour arriver à ne pas être gonflant, et ceci est une qualité trop rare pour être oubliée.
S’ils ne sont pas ennuyeux, c’est grâce à leur manière de construire la musique, une méthode a priori facile et pop derrière laquelle se cache du foin à tous les étages, expérimentation et progression, la princesse cachée sous sa peau d’âne, si vous voyez ce que je veux dire (à ne pas confondre avec la méthode Pink Floyd, où on cache l’ânerie sous une peau de princesse). Un morceau comme "Fountain" en est un bon exemple, on se demande franchement dans quel type de musique on est tombé tellement l’acoustique synaptique de la guitare ne colle pas avec les effets de claviers et de gratte électrique qui viennent régulièrement déchirer la trame du morceau. Ces gens étaient probablement fous en composant ça.
Ce disque contient malheureusement son lot de petits défauts, avec en première ligne une manie anti-songwriteuse qui peut vite porter sur les nerfs. En bons expérimentateurs, Sun Dial s’est arrangé pour qu’aucune « chanson » ne vienne tacher son disque (à part peut-être "Poster Paint", de loin), et à ce niveau-là, c’est presque un point faible, on est encastré dans un disque sans limite, sans frontière, et le concept en arrive à être agaçant passé les trois quarts d’heures. Bien heureusement, Sun Dial n’est pas un groupe de manchots, et on remplacera aisément une carence de chansons par une écoute attentive de leur freak-soup, car le groupe a du talent et de l’inventivité à tous les étages.
Et ce n’est pas le chef d’œuvre "She’s Looking All Around" qui vous fera redire quant aux capacités de Ramon et sa bande. Enorme morceau de bravoure étiré sur dix minutes, nul doute qu’Iron Butterfly aurait aimé composer un truc pareil. Débutant sur une ligne claire, le morceau va aller en s’enfonçant, guidé par l’optimisme béat du pipeau… Si par moment la voix de Ramon vient nous réveiller, comme pour nous dire que l’heure n’est pas encore arrivée, on retombe illico dans la névrose (un petit cacheton aidant), on admire… Et on pleure. Toi aussi, petit guitariste, va chez ton disquaire, écoute ça et pleure!