En 2008, Nicolas Chapel sortait son premier album Building An Empire sous le nom de son projet solo, Demians. Avait suivi une période de tournée consistante avec ses musiciens live pour promouvoir ce premier opus, par ailleurs bien accueilli par la critique. Deux ans plus tard, Demians remet le couvert avec un deuxième album et une approche différente : Mute s'inscrit certes dans la continuité de son prédécesseur mais avec une nouvelle dynamique.
L'impression que peut laisser la première écoute de Mute est une sensation un peu frustrante : que peut-on attendre de ce nouvel opus, y a-t-il quelque émotion nouvelle ? La réponse ne sera peut-être pas immédiate. Le son, plus naturel, et l'énergie insufflée ont été renouvelés et prêtent une fraicheur neuve aux morceaux. On remarque toujours cette propension de Demians à privilégier les passages calmes et reposés à l'instar d'un "Porcelain" ou d'un "Falling from the Sun". Les morceaux évoluent volontiers vers de larges mouvements émotionnels, communs au post-rock, comme avec le retenu "Black Over Gold" ou l'ambivalent "Rainbow Ruse". Ambivalent, voilà un adjectif susceptible de décrire certains aspects de Mute, à la dynamique plus rock et plus démontée que son prédécesseur. Les chansons "Feel Alive" et "Tidal" s'accompagnent d'une sortie de guitares saturées et d'une énergie impulsée sur format court qui incurve la dynamique plus lente évoquée précédemment : on change radicalement de registre, on actionne la machine à riffs et on déploie la voix de manière plus intransigeante et plus rugueuse. Déjà présents sur Building An Empire, ces éléments sont cette fois mis en œuvre de manière plus concentrée sur quelques morceaux et non plus dilués au fil de l'album. Là où le premier album semblait ne faire qu'un seul bloc, Mute est plus défini et en quelque sorte plus organisé.
C'est peut-être ce qui rend l'approche de Mute non triviale : l'album se présente certes comme un ensemble cohérent, notamment en raison de la continuité des atmosphères calmes. Pourtant c'est l'impression d'avoir affaire à une mosaïque musicale qui prime. Mute sonne plus varié, voire même plus riche que le premier album. Il développe un son tout aussi organique avec une pointe supplémentaire de distinction, comme s'il se révélait en quelque sorte d'un meilleur standing. Les couleurs chaudes de Building An Empire se sont un peu refroidies au profit d'une atmosphère moins étouffée et aux émotions plus claires. On ne saurait dire en revanche que l'esprit est moins agité : les accents émotionnels de "Hesitation Waltz" sont au moins aussi puissants que les mouvements de "Temple". Le final vibrant de sincérité de "Black Over Gold" ou l'explosion de "Overhead" sont aussi intenses sans que l'on puisse jamais vraiment définir si l'émotion est positive ou négative. La simplicité et l'immédiateté d'un titre comme "Tidal" ou "Feel Alive" ne s'encombrent pas de structures sinueuses. Ces morceaux se calent sur un format rock standard et arrivent en décalage avec le reste de l'album. Tout l'enjeu de l'écoute réside dans l'appréciation et dans la compréhension de cette superposition d'émotions et de structures parfois diamétralement opposées et pourtant rassemblées sur cinquante minutes d'écoute.
Ce n'est pas que Mute soit d'une exceptionnelle complexité ou d'une étrangeté inhabituelle. Mais il semble bien qu'il puisse être nécessaire de s'armer de patience et d'attention pour arriver à saisir les émotions et la subtilité de l'album. Mute joue énormément sur la retenue. La vie de cet album est intérieure et la tension bien que palpable garde quelque chose de discret. Il faudra donc dépasser la première impression de mélodies un peu trop tendres et de sonorités électriques et voix tirées un peu âprement pour espérer accéder à l'âme de l'album. Certains, comme avec Building An Empire, seront peut-être déçus à nouveau. Il faut dire que Demians, bien que souvent répertorié rock progressif, ne se montre pas là où l'on pourrait l'attendre. Moins démonstratif, il se situe d'avantage aux environs d'un post-rock largement influencé par des branches plus énervées. Quitte à parfois gêner par cette juxtaposition de passages très calmes, voire minimalistes, et de réveils spontanés. Demians dévoile certains éléments mais ne les développe pas comme on pourrait l'espérer. Alors s'agit-il d'un manque d'accroche et d'efficacité ou d'une approche différente qu'il s'agit d'apprécier à sa juste valeur ? Il appartient à chacun de répondre à cette question selon son propre ressenti et ses propres attentes. Mais nul doute que Demians se pose là dans une situation mal définie et instable… toute à son honneur.
Il est quelque part délicat de trancher quoi que ce soit à propos de Demians. Tout comme le premier album, Mute ravira les uns et laissera dubitatifs les autres. Le constat peut sembler paradoxal si l'on évoque la musique de Demians avec toutes ses qualités de technique et d'interprétation dans un genre mélodique finalement assez accessible. Mute n'est pas de ces albums qui s'imposent avec une force brutale. Il s'agit plus d'une infiltration progressive (sic) qui peut se révéler subtile. À chacun de décider s'il tente l'expérience ou passe à côté.