Comment, mais comment ai-je pu passer à côté de cela ? C’est pourtant leur quatrième album et il a déjà deux ans. Ai-je manqué une actualité, y’a-t-il eu actualité d’ailleurs, dans le warp où je me trouvais à ce moment ? C’est incompréhensible. Remarquez, on se demande ce qui se cache derrière un nom comme celui-ci : The Project Hate MCMXCIX, ça fait un peu « Projet Blair Witch N°32 », sauf que ce n’est pas une mauvaise suite d’un film pour adolescents qui jouent à touche pipi dans le noir avec un super 8. Mais ça fait peur quand même, le concept est effrayant : du doom/death/mélo/prog/indus/electro parfois angoissant, parfois direct, parfois perdu, parfois inattendu. J’ai mal à la tête…
Il faut absolument que je me plonge dans la biographie du groupe, il y a nécessairement quelque chose que je connais… Je… je suis sec. Rien, à part des apparitions en backing vocals de membres de Grave et Unleashed, juste pour faire comprendre qu’on est ici en Suède, et le bassiste, un gars d’Evergrey. Ah… mais si, j’en ai un, je savais que je connaissais ce growl monstrueux : il appartient à Jörgen Sandström un ancien de Grave, qui m’avait donné mes premières migraines caverneuses en 1991 avec Into The Grave. Voyons la production… mais… aux manettes… derrière ce mixage énorme… c’est Dan. Le magicien qui arrive à faire sortir les détails tels qu’ils en deviennent évidents, le maître du riff, le touche à tout. Qui mieux que lui aurait pu canaliser cette multiplicité de genres en un ensemble si détonnant et harmonieux? Ça y est, j’ai dressé le mât et le chapiteau monte.
The Project Hate entame son travail de sape sans fioriture, c'est-à-dire sans intro, directement en vous violant les tympans, par la déroutante "At The Entrance To Hell’s Unholy Fire", avec sa voix death au growl abyssal façon David Vincent, ses rythmes orientaux mixés à des samples electro-symphoniques, sa voix féminine duale parlée puis chantée, entrecoupée de pièces brutales et oppressantes. Cette clarté dans l’opposition beau/laid ou propre/sale, est ébouriffante par la complexité de composition et les oppositions/associations de styles improbables. Plus c’est improbable, plus c’est réussi. La suite se déroule avec une emprise démentielle sur l’auditeur dont les intras ont définitivement fusionnés avec ses conduits auditifs sous la pression de la chape de plomb sonore.
Le son est monté tout seul pour enchaîner un riff à la Insomnium ("The Bleeding Eyes Of A Breeding Whore"), un chant féminin éthéré résonnant et planant ("I See Nothing But Flesh") s’opposant à un riff Gravien, puis vient sans prévenir la bombe "Resurrected For Massive Torture". Une intro lancinante au piano, des beats discrets qui s’élèvent, puis les riffs montent à leur tour, et elle chante. Quand j’écris « elle chante » je devrais plutôt écrire « elle m’emmène ». Là, un imprescriptible et inexorable mouvement de doigt vous fait monter le son, jusqu’à ce que le growl doublé d’un son de scratch couinant ne vous crève les tympans, alors vous rebaissez, puis elle rechante. Alors vous remontez, mais ça se calme. Énervant. Mais le break sensuel qui suit cela vaut le détour, comme pour prévenir le retour du monsieur qui crie fort et grave. Ce titre est comme une partie de jambes en l’air : doux, brutal, puis doux à nouveau, puis tendre, puis brutal et enfin la plénitude…
"We Couldn’t Be Further From The Truth" et "Godslaughtering Murder Machine" s’inscrivent dans la lignée, puis "Symphony Of The Deceived" commence à instaurer un ralentissement malsain ponctué d’un piano désarticulé et de beats répétés, le tout enveloppé d’un riff se faisant de plus en plus angoissant. C’est la fin du voyage et les couplets doux de "Loveless, Godless, Flawless" commencent à vous faire revenir à la réalité. Viennent de passer 8 morceaux de plus ou moins 8 minutes chacun, et on ne sent rien de cette longueur.
Voilà, c’est fini et je n’ai toujours pas compris comment j’étais passé au travers il y a deux ans. C’est peut être Jo Eckell l’actualité novatrice du groupe. La demoiselle est arrivée en remplacement de Mia Stahl, priée de s’en aller en 2002. Après avoir pris ses marques sur le précédent opus Hate, Dominate, Congregate, Eliminate, elle donne sa pleine mesure ici. Sa voix joue dans le registre alto, parfois soprano, mais le plus frappant est sa dextérité à jouer avec elle. Bien que n’ayant rien à voir niveau timbre et puissance, il semble qu’elle en joue comme Agnete de Madder Mortem, et cela ajoute une nouvelle pointe d’originalité à un ensemble déjà truffé de bonne choses.
Armageddon March Eternal est un train fantôme : il vous attire dans son confort douillet puis ferme les portes sur vous, vous colle contre votre dossier en accélérant et vous empêchant de descendre en route. Il projette votre tête, seul élément encore capable de bouger, contre les vitres latérales à chaque virage, puis descend vers les entrailles de la terre, pour enfin remonter vers les cieux paradisiaques pour vous y débarquer. Sauf que vous êtes tellement sous le choc, hébété et bavant, que vous restez là, la bouche ouverte, et les yeux ronds grands ouverts. Vous avez mal et pourtant vous êtes bien comme en témoigne cette raideur dans votre pantalon, puis vous vous demandez ce que vous faites ici. Mais vous auriez dû bouger, les portes viennent de se refermer pour repartir.