La lecture des évènements récents de Project Hate peut laisser perplexes les amateurs un tant soit peu intéressés par l'historique grandissant du groupe du géant au bouc tressé. La signature chez Season Of Mist est plutôt un bon présage, de même que la collaboration continue des studios Unisound et de leur maître. Le départ de Jo Enckell laisse en revanche augurer un affaiblissement de ce côté « divin » qui a permis au groupe de s'élever vers les sommets depuis Armageddon March Eternal, jusqu'à The Lustrate Process, en passant par l'immense In Hora Mortis Nostrae.
Certes Ruby Roque n'est pas la première venue et sait donner le la voix, mais son influence sur les parties aériennes et entêtantes de la musique du Project Hate semble bien moindre que celle d'Enckell. Cette dernière a en partie participé à l'éclosion de la maturité de ce style si particulier depuis Armageddon. Elle est arrivée au bon moment, quand le style et la production s'affinaient, avec sa touche paradisiaque dans un monde de brutalité contrôlée. Finies les petites perles de break si courtes qu'on en redemandait toujours. La place est cédée à des poussées de voix qui, quoiqu'entraînantes et très puissantes, manquent encore de cette inspiration qui a fait la différence sur les trois précédents albums.
Le style est certes lancinant et juste, mais la tonalité et le vibrato final laissent un sentiment de répétition que le groupe ne mérite pas. À titre d'exemple, "Bleeding the New Apocalypse" se rapproche plus de Hate, Dominate, Congregate, Eliminate dans l'esprit des vocaux sans testostérone, avec heureusement une voix féminine plus intéressante (pas dur) et bien plus juste (pas dur non plus). La lourdeur de Hate n'est pourtant pas répétée, grace notamment à des passages électroniques/techno-indus bien plus présents et un son plus clair. Les breaks au clavier restent toujours aussi classieux ("They Shall All Be Witnesses") et angoissants parfois, les riffs sont toujours très tranchants et ultra bien sentis, et Monsieur Sandström râle avec une ardeur sans faiblesse.
A l'instar des deux précédents opus, les guests, bien que moins nombreux, sont toujours là, et non des moindres : Leif Edling (bassiste de Candlemass tout de même), Mike Wead (King Diamond) comme sur le précédent à la guitare, Christian Älvestam (ancien Scar Symmetry) et Jocke Widfeldt (chant dans Vicious Art, un des nombreux side-projects de Sandström). Manquent tout de même les calibres vocaux de Van Drunen et Hegg qui ont élévé The Lustrate Process à ce niveau. Tout comme les précédents, et c'est plutôt très bien, Bleed The New Apocalypse ne se révèle pas aux premières écoutes. Il est difficile d'identifier les titres au début, mais la puissance musicale ne s'entrevoit qu'après absorption du changement et des breaks multiples. Déstabilisant pour les habitués, mais ô combien jouissif pour l'amateur de ce type de métal.
Sinon, dans son ensemble, l'album est plutôt réussi car très au dessus de la moyenne et gagnera au fil du temps. Six titres, dont le plus court dure près de 9 minutes. A noter que l'ensemble dure 66 minutes et 6 secondes – anecdotique, mais il fallait le faire, juste pour montrer encore une fois le très grand intérêt du combo pour le détail qui fait la différence. Rien n'est hasardeux, tout est pensé, composé et mixé avec un soin maniaque, avec en point d'orgue "Summoning Majestic Victory", où plane l'essence du Project dans toute sa splendeur (passages féminins, passages techno/electro, breaks, tout y est). Reste à digérer le petit virage commencé ici par un nouveau changement de Line-up, ce qui devrait se faire sans douleur avec le temps.
Comme quoi un style n'est pas qu'un style : Il est aussi très dépendant d'une personne parfois. Changer une voix et une inspiration, même en gardant la même écriture, la même puissance, la même production peut faire penser à une évolution. L'être humain n'aime pas que l'on modifie ses habitudes, et sa réaction première est le rejet ou la déception. Passé ce sentiment, il y retrouve ses acquis et peut-être même une nouvelle source de bonheur. Et Bleeding The New Apocalypse reste quand même une source de bonheur, moins immédiate, voilà tout. Et je sens que je vais l'aimer, l'Apocalypse...Il monte...il monte.