CHRONIQUE PAR ...
Adam Weishaupt
Cette chronique a été mise en ligne le 01 juin 2021
Sa note :
18/20
LINE UP
-Lemmy Kilmister
(basse+chant)
-Phil Campbell
(guitare)
-Mikkey Dee
(batterie)
TRACKLIST
1)Born to Lose
2)I Know How to Die
3)Get Back in Line
4)Devils in My Head
5)Rock 'n' Roll Music
6)Waiting for the Snake
7)Brotherhood of Man
8)Outlaw
9)I Know What You Need
10)Bye Bye Bitch Bye Bye
DISCOGRAPHIE
C’est le front perlé de sueur et les dents plantées dans le mou du canapé que tout fan de Motörhead doit un jour se rendre à l’évidence que les paroles de "Fast and Loose" peuvent tout à fait évoquer les déboires intestinaux de Lemmy un soir de colique. A partir de là, le doute s’immisce. Et si l’univers n’était qu’une illusion ? Et si le titre de ce nouvel album ne faisait référence à Scarface que pour nous préparer à une découverte lovecraftienne, à savoir qu’il a été produit par Giorgio Moroder ?
Que les puristes se calment et les iconoclastes débandent, The Wörld Is Yours est dépourvu des attributs fondateurs du succès de ce producteur de génie, qui fut au nightclubbing cocaïné de la fin des années 70 ce que furent Les Anges Gardiens au buddy-movie français post-Rabbi Jacob. Pas de moustachu en polo moulant féru de beats disco qui tapent fort, de synthés pétillants ou de vocodeurs poisseux pour le dernier Motörhead en date, tout juste l’inévitable Cameron Webb qui défend toujours aussi fermement à Mikkey Dee de sonner autrement que si la B.O. du prochain film de Michael Bay ne dépendait que de lui. Donc Motörhead décharge sa cargaison bisannuelle mise en boîte par le même producteur, avec le même nombre de pistes et la même pochette que d’habitude, c’est bien ça ? C’est qu’il n’y a plus qu’à choisir son camp entre ceux qui trouvent ça trop bien et ceux qui trouvent ça lamentable (pardon à ceux qui s’en branlent, mais nous sommes ici entre esthètes), et faire chauffer le générateur automatique de chroniques. Non ? Non, on se calme et on boit frais à St Tropez, parce que Motörhead vient ni plus ni moins que de sortir son premier grand album en presque quinze ans.
Car de Snake Bite Love à aujourd’hui, le groupe s’est systématiquement montré incapable de s’émanciper de la double mamelle estampillée « sympa mais mal dégrossi » d’une part (Inferno, Motörizer), et « soporifique » d’autre part (le reste). Mais apparemment, dans le monde des Idées que Lemmy, Phil et Mikkey arpentent en quête d’inspiration, il suffit, comme Arnold dans Total Recall, de tomber sur la muse tripoitrinaire pour débloquer la situation. Et que dire si ce n’est que ce troisième nibard salutaire abonde visiblement de ce lait magique, perdu depuis douze ans et source du fameux « pouvoir de la bite » seul propre aux meilleurs albums de Motörhead et aux plus grands rôles de Michael Ironside ? Par ailleurs, il semble acquis, si l’on en croit bon nombre d’avis a priori positifs présents dans la presse spécialisée et chez les bénévoles éclairés, que dans le monde « réel » où nous vivons vous et moi, Motörhead ferait toujours la même chose depuis dix ans. Ce type de raccourcis à la condescendance d’autant plus choquante qu’elle semble inconsciente, qui pousse les aficionados les mieux intentionnés à saluer la stagnation illusoire du groupe comme si l’incapacité à avancer dans son œuvre à cause de l’âge était la chose la plus cool possible, ne saurait rendre justice au délicieux goût de ce lait de la réussite.
En effet, si le groupe passe son temps à ne pas changer « d’un iota » une « formule qui gagne » en sortant une « nouvelle galette » qui ne fait pas « avancer le schmilblick » mais qui « envoie du lourd » quand même, comment expliquer que "Born to Lose", avec son swing ravageur, est un des meilleurs openers de sa carrière ? Et l’énergie féroce de "I Know How to Die" ne tranche t-elle pas avec la morosité de Kiss Of Death ? La cowbell dans "Get Back in Line", même s’il en faut plus, ferait presque oublier Hammered dans son intégralité. Même "Devils in My Head", qui démarre pourtant avec un riff un peu trop convenu, balance un refrain plein de fougue comme on n'en entend pas sur We Are Motörhead. "Rock’n’Roll Music” ? Autre refrain qui tue. “Waiting For The Snake” ? Riff dodu. “Brotherhodd of Man" ? "Orgasmatron" en plus sinistre et bourru. "Outlaw" ? Patchwork héroïque entre thrash, punk à l’ancienne et chœurs sous influence Beatles comme au temps d’Overnight Sensation. "I Know What You Need" ? C’est déjà l’avant dernier morceau et la poutre est bel et bien dans notre œil et celui du voisin. "Bye Bye Bitch Bye Bye" ? Nous sommes en 2010, et Chuck Berry a gagné sur toute la ligne.
C’est comme si les membres de Motörhead avaient passé dix ans à sortir des brouillons pour finalement livrer le produit fini. Plus de mid-tempos ridicules, aucun riff forcé, tout y est solide, vif et percutant. Les enchaînements et le rythme sont optimaux et la production, seul élément casanier permettant de faire le lien avec ce qui a précédé, n’est plus dommageable. Motörizer était sympa comme tout, ses efforts sont toujours appréciés, mais là, les choses sérieuses sont de retour. The Wörld Is Yours est écoutable d’une traite, le plaisir n’est plus timide, le kiff gicle comme du lait maternel et le monde ne s’en porte que mieux.