Vingt-cinq ans après ses débuts discographiques, Flotsam And Jetsam est toujours connu presque uniquement comme « le premier groupe de Jason Newsted ». Il faut dire qu'après le départ du principal artisan du génial Doomsday For The Deceiver, la suite n'a été qu'une longue déchéance, où les bons albums comme No Place For Disgrace ou Cuatro ont progressivement laissé la place à des trucs aussi indignes que Unnatural Selection ou My God. Aujourd'hui, après cinq ans de silence radio, les gars tentent une nouvelle relance. Perdu d'avance ?
Flotsam And Jetsam a beau être originaire de l'Arizona, un des quatre états formant la Sun Belt, c'est du côté de la pluvieuse Seattle que le groupe est allé chercher l'inspiration. Je vous rassure tout de suite, les gars ne se sont pas pour autant mis au grunge. Encore que, niveau état d'esprit, on n'en est pas très loin. Que ce soit le titre de l'album, la pochette ou encore les titres des morceaux, ça ne respire pas franchement la joie de vivre. Rien qu'à lire les paroles de "Take" ou même "Hypocrite", c'est à se demander si la nana de Eric A. Knutson n'a pas été tester ce qui se fait chez la concurrence. Le sommet est atteint par "Better Off Dead", une ballade (si on peut dire ça comme ça…) complètement dépressive transcendée par un Eric Knutson carrément bouleversant. Ceci dit, en évoquant Seattle, je pensais davantage à la direction musicale de l'album, sorte de rencontre improbable entre les deux principales têtes d'affiches hard/metal de cette ville : Nevermore et Queensrÿche. Ca paraît un peu dingue comme croisement vu les différences de style majeures qui séparent ces deux groupes, et pourtant Flotsam And Jetsam réussit à en tirer un cocktail particulièrement savoureux.
Difficile de deviner cette orientation lors des premières secondes de "Hypocrite". Après une intro toute en douceur avec une voix filtrée et l'arrivée des guitares dans un hurlement métallique, c'est parti pour un titre de thrash assez classique. On notera un parti pris intéressant au niveau de la production très glaciale signée du guitariste Mark Simpson, ainsi qu'un refrain basique (le titre répété 4 fois) mais d'une virulence rare, et qui redouble encore d'intensité sur le final. Et puis il y a ce break un peu plus aérien qui nous met la puce à l'oreille : et si The Cold était un peu plus qu'un simple album de thrash ? Confirmation immédiate dès le titre suivant, "Take". A côté d'un riff heavy très lourd, les petites idées fourmillent au niveau des arrangements, la basse profite de la place importante qui lui est réservée et Knutson attaque les intonations emphatiques à la Geoff Tate. Ça y est, le mélange des genres est en place. Et ça fonctionne ! Nouvelle leçon sur "The Cold" où la facette Nevermore marqué par la lourdeur écrasante du riff et le chant à la fois agressif et lyrique de Knutson se marie à merveille avec la facette Queensrÿche symbolisé par un prérefrain particulièrement lumineux.
La quintessence de ce croisement est atteinte sur "Blackened Eyes Staring". Là, on n'est plus seulement dans l'alternance des styles, mais bien dans la fusion. Le riff thrash assez banal est trompeur et ne laisse en aucun cas augurer la suite : un refrain où la rythmique heavy saccadée est accompagnée par une magnifique mélodie en lead et d'une ligne de chant poignante portée par un fabuleux Eric A. Knutson. Et il ne faut pas minimiser le boulot de ses camarades, puisque le solo est lui aussi d'une beauté à couper le souffle. Dommage qu'après "Better Off Dead", le groupe laisse tomber la facette émotionnelle, car Flotsam And Jetsam retrouve alors sa condition de second couteau du thrash. "Falling Short" et "Always" ne sont pas inintéressantes en soi, mais dans les deux cas, on aurait aimé que le refrain enfonce véritablement le clou. En revanche "K.Y.A." (pour Kick Your Ass) creuse une autre influence intéressante déjà entrevue sur le prérefrain de "Black Cloud" : Anthrax, et plus particulièrement un mélange audacieux entre le style radical de Stomp 442 et la production surprenante de Sound Of White Noise. Il faut dire que la gouaille dont fait preuve Knutson sur ce titre rappelle immanquablement John Bush.
Franchement, il fallait une boule de cristal sacrément efficace pour prédire que Flotsam And Jetsam allait sortir une authentique boucherie en 2010. Il faut pourtant se rendre à l'évidence : les Américains viennent de signer une des grosses sensations thrash de l'année. Un chanteur épatant au registre incroyablement étendu, des riffs solides, des solos plus impressionnants les uns que les autres : The Cold n'a rien à envier à toutes les grosses sorties thrash de l'an dernier, notamment le Omega Wave de Forbidden dans un style assez similaire. Putain de bonne surprise !