Dans la série ça n'arrive pas à tous les groupes, Madina Lake a failli splitter quand leur bassiste est passé très près de se faire battre à mort par un type dans la rue. Un mari qui frappait sa femme en public, et qui lui a ravagé la face quand il a tenté de s'interposer. Le bougre a quand même du subir une intervention chirurgicale en urgence où un bon bout de sa boîte crânienne a du lui être retiré pour sauver son cerveau ! Mais il faut croire que c'est le genre d'épreuve qui donne la patate, car World War III se pose d'ores et déjà comme le meilleur album du groupe. Musiciens en manque d'inspiration, vous savez ce qu'il vous reste à faire...
Un stéréotype a généralement un fond de vérité. Elle est déformée, amplifiée, généralisée au point qu'elle perd toute crédibilité... mais au départ elle était là. Madina Lake nous montre avec World War III que oui, pour de vrai, un groupe peut balancer un premier album débridé mais pas maîtrisé, un deuxième où il se cherche et un troisième où il trouve son identité. Le cas d'école, quoi. Nous voilà face à un groupe qui pratique une pop-rock généralement musclée, et où même les thèmes les plus darks ("We Got This", ouch) sont généralement introduits sur un mode qui donne envie de se retrouver à 20,000 dans un stade pour chanter les paroles en levant les bras. World War III est un recueil de tubes radio à la fois varié, ciselé à l'extrême dans l'exécution et foutrement fédérateur. La production de Dave Bendeth se démarque par son côté protéiforme : le son limite indus des guitares de "Howdy Neighbor !" n'a rien à voir avec celles très rock de "Hey Superstar" ou des méchants riffs de "Blood Red Flags" qui constituent le moment le plus métal de l'album. Le groupe réserve l'usage de l'electro à quelques titres ("They're Coming forMme", "Heroine"), et là encore la prod sait s'adapter et se révèle plus que crédible dans le style.
Logiquement, à ce point, une contradiction devrait vous faire tiquer : ils affirment enfin leur identité alors qu'ils partent dans tous les sens ?!? Et bien oui mon bon monsieur, imaginez-vous que Madina Lake réussit à nous emballer tout ça dans un package cohérent grâce à leur arme secrète, j'ai nommé les refrains. Que les couplets donnent dans le rock énervé, la pop mélodique ou l'exploration synthétique, au moment du refrain Madina Lake ouvre systématiquement les vannes en grand... non, pas en grand, en hénaurme. A ce niveau-là ce n'est plus juste balancer la sauce : TOUS les refrains de l'album sont envoyés avec l'intention de choper les 20,000 personnes déjà citées (vous savez, celles qui sont dans le stade) et de leur faire quitter le sol. Et ils y arrivent à chaque fois, les bougres. On peut prendre une chanson au hasard dans le disque, le refrain est toujours fou. La preuve : prenons... (*clic aveugle*) "Take Me or Leave" tiens, c'est une ballade presque acoustique dans l'esprit. Et bien ça ne loupe pas : à 1'03, Nathan Leone colle le frisson en poussant son organe dans les aigus et se doublant lui-même pour une de ses nombreuses harmonies qui tuent. Hyper simple. Mémorable.
Forcément, pour faire des refrains qui tuent, ça aide d'avoir un chanteur qui tue. Leone donne parfois l'impression de forcer un peu trop, mais 90% du temps il brille de mille feux. La puissance, l'émotion, la souffrance... tout ça il sait faire, et sa manière de tout donner porte littéralement "The Great Divide", outro finale pétrie d'ambiances. Avec la prod, c'est lui qui donne cette impression de grandiloquence qui est désormais la signature du groupe, grâce à une grande puissance évocatrice. Si From Them... sonnait parfois comme la BOF d'un film US à la American Pie, le refrain de "Across 5 Oceans" pourrait illustrer l'épisode final d'une série comme How I Met Your Mother. On est manifestement passé à l'âge adulte, et on enfonce le clou en pondant au passage un tube énormissime intitulé "Imagineer". On kiffe le gros riff métal transformé en riff rock grâce à la prod, l'up-tempo qui te chope, le beat-down qui te cogne, et cette jouissance de refrain à la ligne de chant imparable et aux « LALALALA LAAAAA » en chœur qui vont titiller Queen... un peu comme les harmonies du couplet de "Superstar" avaient titillé Muse, d'ailleurs, groupe dont l'ombre pèse fortement sur l'album... ah zut, la limite est là.
La limite ce sont ces influences qui flirtent parfois avec l'envahissant. Impossible de ne pas évoquer "Otherside" des Red Hot Chili Peppers quand débarquent les doubles croches qui introduisent "Across 5 Oceans", Placebo surgit avec son de guitare lead cosmique de "We Got This" et "Hey Superstar" (pensez à "Peeping Tom")... et pour enfoncer le clou concernant Muse, l'impression générale est d'être face à une démarche stylistique semblable à celle de Black Holes And Revelations. Même volonté de couvrir le spectre pop-rock le plus large possible, mêmes approches employées pour parvenir à cette fin (variations sonores, incursions dans le métal et/ou dans l'électro, alternance de titres emphatiques et intimistes...), tout ça semble partir du même cahier des charges. Sauf que là où Muse avait pêché en ne parvenant pas à sortir de l'auto-citation permanente malgré les moyens déployés, Madina Lake réussit à délivrer un ensemble compact, toujours catchy, où aucune chanson n'en rappelle une autre déjà faite par le groupe et où la cohérence domine malgré les expérimentations permanentes. Au final le seul réel défaut de World War III se trouve au niveau de ces influences mal digérées, et du coup l'album ne fait que frôler le carton plein. De très près.
Ça fait plaisir. Ça fait plaisir de voir un groupe de djeunz débarquer de nulle part, grandir avec les années, s'affirmer et finalement sortir un skeud comme ça. Ça fait d'autant plus plaisir qu'on sent que malgré le chemin accompli ils en ont encore sous la pédale : s'ils atteignent un jour le stade où TOUS leurs plans sonnent comme du Madina Lake et rien d'autre, on aura un nouveau poids lourd dans le terrain de jeu. C'est-y pas réjouissant ?