Outre-Manche, lorsqu’on vit au ralenti, au bord du suicide et dans un état de dépression maladif, on se dit « ésotérique ». C’est en tout cas ce que s’évertuent à traduire les Anglais joyeux du groupe Esoteric. Rarement prise au dépourvu lorsqu’il s’agit de se faire doubler par le surplace, la troupe insiste et persiste album après album dans son ode constante au rejet de tout. En somme, voilà des extrémistes du doom qui n’ont rien à rougir dans leur réappropriation des codes jetés par Thergothon et autre Skepticism.
Car Esoteric c’est du pur funeral doom avec des chansons avares en rythme et dévoreuses de temps. Les 10 minutes semblent être la norme minimale du single, le quart d’heure un format plus acceptable déjà. Et les revoilà qui débarquent avec un double album cette fois. Deux fois plus de douleur pour deux fois plus de lenteur ? Ce serait bien mésestimer un groupe qui n’oublie pas une certaine musicalité dans ses compositions. Certes, écouter Esoteric est profondément engageant et exigeant, mais c’est aussi une expérience musicale, même si ça va au-delà. Les riffs existent et ne sombrent pas dans le misérabilisme le plus total qui peuvent aboutir à 1-2 accords égrainés maladroitement toutes les 30 secondes dans les cas les plus extrêmes. Les hommes d’Albion ont autre chose dans leur manche. Ils ont des mélodies, des soli (cf "Abandonment" où ils sont foisonnants, pas forcément lents et particulièrement touchés par le feeling) ou autres arpèges aériens et mélodiques.
C’est ce qui surprend le plus sur les débuts de Paragon of Dissonance. Alors qu’avec un tel nom on aurait pu craindre une avalanche de dissonances stridentes et mortifiantes pour nos tympans, cela se traduit plutôt par un côté musical et très agréable à l’écoute. Etonnant. Il n’empêche que le funeral doom reste ce qu’il est, et le gros chant d’outre-tombe lancinant s’affirme aussi. Les passages d’accords pachydermiques sont évidemment encore de la partie. Mais le groupe ose utiliser des éléments qui semblent incongrus à première écoute dans un tel genre, et probablement sonnent-ils comme une trahison pour certains, et il le fait avec talent. Le résultat donne un funeral doom qui ne renie pas ses origines ni son essence, tout en s’enrichissant de couches multiples fort bienvenues à l’équilibre précaire maîtrisé (même si le début de "Non Being" est peut-être tellement tangent qu’il franchit la ligne vers quelque chose de trop ... rythmé voire heureux).
Car si des mélodies peuvent enrichir, elles peuvent surtout dénaturer une musique qui invite à la contemplation, voire au repli sur soi et à l’enfermement. Heureusement, leur intégration parfaite et la lenteur toujours maladive de la musique de Esoteric permettent de ne pas se tromper sur l’origine des chansons : funeral doom. Le tableau est donc idyllique. A ceci près qu’en bon double album, il faut se l’enfiler. Non pas que la musique devienne mauvaise, elle est constamment bonne, mais 1h30 c’est long, et pas adapté à toutes les circonstances. Les puristes répondront qu’ils n’en ont cure et que le funeral doom n’est pas affaire de circonstance. Ils ont bien raison. Cet art intransigeant s’impose à son auditeur. Mais reste que les plus modérés d’entre nous auront du mal à tout s’enfiler en continu. Alors il faut accepter sa condition de faible et partitionner les écoutes, hérésie cruelle !, mais bien indispensable. On a tout de même envie d’écouter cette musique particulière, repoussante et titanesque, dont les exécutants ont réussi à la rendre, sinon accessible, agréable. Une satanée performance.
Vous reprendrez bien du Esoteric ? Oui ! Mais avec modération car le funeal doom n’est pas à la portée de tous même quand il est enrobé d’atours alléchants. Néanmoins on salue la richesse qu’a su apporter Esoteric à ce style, sans lui enlever sa cradeur originelle. Les fans devraient se réjouir hautement, les autres pourraient en profiter pour se lancer dans l’aventure ...