Absu, Tiamat, Mekong Delta, Morbid Angel, Ripping Corpse, Ancient, Fields of the Nephilim,… La mythologie sumérienne et l’univers affolant de Lovecraft ont fasciné un nombre faramineux de groupes métalliques et apparentés. Les Bordelais de The Great Old Ones font partie des dernières victimes en dates du virus lovecraftien, le nom du groupe ne laissant d’ailleurs que peu de doutes quant à leur source d’inspiration. Leur premier album, Al Azif, offre une vision très personnelle du mythe. Très personnelle… et très grise. Difficile d’accès, presque rebutant, le black metal des Grands Anciens est tout sauf frivole, et évoque la grisaille d’un voyage sur des mers brumeuses, une promenade sur des quais par une nuit sans lune. Un moment sombre, triste… et un peu ennuyeux.
Dans la grande famille du black metal, The Great Old Ones est beaucoup plus proche d’Agalloch ou de Bethlehem que de Bal-Sagoth ou Windir. Les Frenchies délivrent une espèce de mélasse poisseuse qui ne « poutre » pas, malgré de fréquents passages en blast et qui n’est pas non plus excessivement mélodique. A la limite du post-black, souvent en mode noisy, les deux premiers titres l’album, "Al Azif" et "Visions of R’lyeh", sont, hélas assez quelconques. Le groupe alterne passages lourds et cavalcades, essaye de changer de rythme, mais sans convaincre. On sent bien que les musiciens tentent de créer une atmosphère et de dérouter l’auditeur par des changements de rythmes soudains, mais ces derniers ne sont pas très bien amenés (la soudaineté des passages en blast tombe en général à plat). Bref, l’ode à Cthulhu et consorts ne décolle pas et le black metal (ou plutôt grey-metal) proposé n’égale en rien les ambiances proposées par les maîtres du genre. On en vient à penser que les quatre autres titres sont du même acabit et que l’on va s’ennuyer ferme. On n’a pas tout à fait tort, mais pas tout à fait raison non plus.
L’écoute des deux premiers titres était-elle nécessaire à former l’oreille aux sons âpres de Al Azif, ou les Bordelais ont-ils simplement trouvé la bonne carburation ? Toujours est-il que les deux titres suivants son mieux construits et on commence à vibrer au son de cette musique qui peu à peu se révèle à l’auditeur. "Jonas" est une plainte black-doom, qui se transforme en menace, grâce à une fin bien maîtrisée (et un passage final en blast enfin bien amené !).Quant à "Rue d’Auseil", il s’avère être le morceau le plus suprenant de l’album : une introduction au violon (ou au violoncelle ?), quelques éléments une fois de plus menaçants, un passage jazzy, il s’agit sans aucun doute du morceau le plus coloré de l’album. L’espace de deux morceaux, le projet musical des jeunes artistes, finalement assez ambitieux, s’affirme : emmener l’auditeur dans des lieux sombres, inquiétants, où la mélodie n’existe qu’en quantité infime et où l’on commence à se sentir vraiment mal à l’aise. Malheureusement, les deux derniers morceaux baissent à nouveau d’intensité et n’arrivent pas à maintenir l’éclaircie musicale. Qu’importe, The Great Old Ones a réussi à se faire comprendre.
Al Azif est en réalité une oeuvre ambitieuse, sous des atours vraiment austères, voire repoussants. The Great Old Ones cherche à créer une ambiance malsaine, anti-harmonique, à l’opposé de l’exubérance avec laquelle les groupes de metal ont l’habitude de rendre hommage à Lovecraft. L’objectif n’est pas complètement atteint, faute à une maîtrise encore approximative des changements de rythme (ah ces satanés passages en blasts qui tombent à plat !) et à une trop grande monotonie. Néanmoins, pendant deux morceaux, le combo nous illumine d’une certaine classe et d’une vision originale du black à ambiance. Al Azif conviendra uniquement aux amateurs de noirceur courageux, qu’un paysage baigné dans le brouillard ne dégoûte pas. Ceux-ci arriveront peut-être également à la conclusion que The Great Old Ones a perdu une bataille, mais pas la guerre. Vivement le prochain album.