Je pense être à la fois fainéant et fou. Fainéant parce que choisir de faire la chronique d'un EP est toujours un peu une solution de facilité. Beaucoup d'autres choses plus consistantes attendent d'être représentées en ces Saintes Pages. Mais qu'elles attendent, après tout, car Cold World, qui se place je ne sais comment dans une discographie m'étant largement inconnue, n'attendra pas plus. Fainéant et fou avait-on dit. Fou car je ne m'attaque pas non plus à n'importe quoi mais à Godflesh. Or Godflesh, dans le milieu, ce n'est pas rien. Loin d'être de la gnognotte, le metal (à peine) indus (carrément) de Justin Broadrick est connu pour être l'un des pionniers du genre. Un genre où tout n'est que dissonances, absence de structures et chocs sonores.
Pourtant "Cold World", le morceau d'ouverture, démarrait gentillement, avec ses cordes synthétiques. Bon, c'était un peu angoissant quand même, mais ça allait. Sauf que voilà, une simili-corde, ça va bien trente secondes. Pour la suite, Monsieur voulait du rythme, de la découpe, de la destruction. Pour ça, il fallait bien que tôt ou tard le duo guitare (rasoir) / boite à rythme (dynamite) s'invite dans la partie. Et bien vite, cet infernal binôme prend toute la place. Les riffs (oh, pas des riffs au sens ou l'entendent Slayer ou Candlemass hein, plutôt des riffs aux allures de beats qui auraient laissé leur aspect dansant au placard pour se parer d'un joli costume de bulldozer) coupent, tranchent, cassent. Si Godflesh construit quelque chose avec sa musique, c'est surement quelque chose de massif. Sauf que voyez-vous, je crois que le propos est plutôt à la destruction. Et vous aurez beau être massif, vous, ça risque de pincer un peu.
"Nihil". Même les titres sont inamicaux ! Rien ne nous sauve dans l'univers gris façonné par ce démiurge au regard acéré et désapprobateur qu'est Broadrick. "Nihil", donc, reprend la même formule que "Cold World", qui est globalement la formule de n'importe quel autre titre de Godflesh : une rythmique à se déchausser la mâchoire, des dissonances qui écorchent et un certain sens du groove version coté obscur de la force. Par dessus tout ça : une voix. Ouf ! Il y a de l'humain là-dessous ! Mais est-ce vraiment rassurant ? Pas vraiment. Le chant est mauvais, épisodique. Se fondant dans ce magma dégueulasse généralisé, il déclame ses injures et disparaît derrière l'imperturbable rythme, qui lui, ne disparaît jamais. Bou-boubouBOUM ! PatchouM ! Bou-boubouBOUM! PatchouM ! (x1000). Finalement, on se dit qu'une présence humaine au sein d'une telle création n'est pas très engageante pour l'espèce. Avec des machines, on aurait eu une excuse à tant de saleté, mais là...
Évidemment, un groupe qui joue avant tout sur le rythme appelle les remix comme la miette attire le pigeon. L'EP permet cela : expérimenter à coup de couper/coller. Sauf que là, le matériel de base n'étant déjà pas très sain, les remix ne le seront pas non plus. "Nihil (Total Belief Remix)" est comme "Nihil". Et si quelques modifications sont de rigueur, le cerveau est à ce stade trop atteint pour percevoir que l'on est déjà plus sur le morceau original. C'est l'avantage d'être répétitif. Comme le rythme de base est repris, l'auditeur abasourdi et désorienté est content. Même donnée par une belle main inconnue, une baffe reste une baffe. Du coup, "Nihil (No Belief Mix)" passe également comme du petit lait. L'arme est la même: toujours ce rythmo-riff enduit de rouille, suintant de crasse, qui nous torpille la tronche. L'original et ses deux copies se fondent finalement en une seule et longue piste râpeuse. Remixé ou pas, le rythme nous rattrape. Toujours. Bou-boubouBOUM !
Sortir un tel truc en 1991, il fallait être sacrément barré pour y penser. Sans aucun hipster pour vanter un produit aussi underground, je me demande même comment des bandes ont pu parvenir jusqu'à moi. Il est clair que cette musique ne peut et ne va pas plaire à tout le monde. De base, il faudra aimer les productions roots, peu puissantes et sales, ainsi que l'absence quasi-totale d'aspect mélodique pour espérer avoir sa chance avec la douce. Sans ça, passez votre chemin. En tout cas, ne venez pas râler. On vous aura prévenu. Godflesh c'est bien mais punaise, ça remue.