Hum, comment parler d’un tel album sans lui faire déshonneur ? Quelle honte ce serait d’écorcher d’une prose fade un monument de cette trempe. Alors allons-y pas-à-pas, de la manière la plus objective, en tentant de ne pas omettre quoi que ce soit.
Terria est le quatrième album en solo de Devin. Il a nécessité que celui-ci se vide la tête avec Physicist avant d’en entamer la composition. Et, au vu de la densité du disque, on comprend que ce fut un mal nécessaire. Tout débute avec "Olives", titre simple, étrange, et captivant à la fois, où se superposent encore une fois les couches, conformément à la méthode habituelle du sieur Canadien. Et la montée progressive que constitue ce premier morceau permet de réaliser une chose à propos de cet album. Ainsi que le laisse penser son titre, Terria est une ode à la terre. La production de ce disque est sûrement la meilleure que le Canadien ait réalisé à ce jour : tout évoque la terre, des basses sismiques, aux couches de clavier et de guitare alternant entre les rayons de soleil sur "Mountain" ou évoquant le flot des rivières, encore une fois sur "Mountain".
De plus, n’oublions pas que Devin livre ici sa meilleure performance vocale de toute sa discographie. Il alterne entre le chant opératique de "Mountain", le touchant de "Deep Peace" et "Nobody’s Here", le joyeux de "Stagnant", sans oublier de nous gratifier de son habituelle voix criée, assez unique. Sa cadence aussi pourra parfois impressionner, sur les refrains d’ "Earth Day", même si on n’atteint pas la rapidité foudroyante de "Oh My Fucking God". Comme d’habitude chez le doux-dingue à la feuille d’érable en solo, on ne retrouve pas de réel riff (et même encore un peu moins que sur Ocean Machine pour le coup, où on avait "Seventh Wave" et "Regulator" qui posaient des riffs mémorables), la musique s’écoute plus comme un bloc monolithique. Et ça fourmille de détails, au vu des 4 ou 5 épaisseurs empilées les unes sur les autres. Là réside le génie : pouvoir superposer autant de pistes sans que cela paraisse trop ou trop peu.
Mais, tout de même, il arrive parfois qu’on se tape un trip rock’n’roll avec option ligne de guitare mémorisable, et qu’on se prenne à chanter "The Fluke" avec Devin. Bon, c’est très bien jusque là. Et "Deep Peace" alors ? Et bien, la chanson (et il m’en coûte de réduire ce titre au rang de tant de morceaux banals) est en troisième place dans tracklist, et se fera une joie de filer une baffe en octuple exemplaire à ceux qui la découvriront. Jamais de votre vie vous ne trouverez un crescendo plus réussi ou mieux amené que celui de "Deep Peace". La montée vers le solo tout simplement orgasmique, avec l’arrivée salvatrice de la basse, en mettra plus d’un à genoux, sans parler dudit solo, qui arrachera sans difficulté une larme aux plus durs. Et une fois ce cap passé, la redescente est douce, et le génie réussit même à caler un growl sans pour autant briser l’équilibre instauré.
Et 7 minutes viennent de défiler comme un instant. Et pourtant les faits sont là : quelques accords de guitare, un peu de clavier, de l’inspiration et le résultat est proche du divin. De ces moments solennels, Terria regorge. Mais la force du Canadien vient surtout de sa capacité à briser cette solennité par quelques électrochocs judicieusement placés ("The Fluke" en première place, "Stagnant" en guise de parfaite conclusion). Bien que l’album soit assez disparate dans le panel des émotions qu’il cherche à communiquer, il réussit toujours efficacement à captiver l’auditeur. Et, s’il est un contexte où il peut s’apprécier à sa plus haute valeur, c’est bien lors d’une promenade dans un cadre champêtre, là où la communion avec la nature peut pleinement se faire (oui bon, stop les champignons bizarres aussi).
Bref, le génie du Canadien prend ici sa pleine mesure, permettant la naissance d’un album gravé au panthéon de la musique, et pas du simple metal. Car finalement, en dehors de quelques riffs saturés, qu’a à voir Terria avec le metal ? Pas grand-chose à vrai dire, il se cale dans la tradition des autres albums dans un domaine musical inclassable, alternant metal, pop, rock, voire ambient parfois, comme sur la fin de "The Fluke". Le chef-d’œuvre intemporel de cet artiste aux multiples facettes.