L'âme d'enfant, la joie de vivre, l'insouciance, tout ça c'est bien joli mais c'est aussi drôlement encombrant. Parce que voyez-vous, quand arrive le moment de payer le fisc, d'aller à un enterrement ou de retrouver chaque soir une vie de ménage anesthésiante, l'âme d'enfant est bien gentille mais pas franchement utile. Mieux vaut s'en débarrasser au plus vite pour affronter le monde des adultes tel qu'il est: terrible. Heureusement, pour la majeure partie des gens, la transition se fera sans trop de heurts avec, au pire, un passage par la case "crise d'adolescence" prenant Nirvana comme paroxysme de la révolte. Pour les autres, le glissement vers ce nouvel état d'adulte sera malheureusement plus perturbant et engendrera des effets parfois néfastes comme, par exemple, l'envie soudaine de se grimer la face avec du sang et des cendres en vue de monter un groupe de punk-black-crust metal bien dégueulasse, bien crade, bien malsain. C'est maman qui va être contente.
Une introduction parfaitement à coté de la plaque pour présenter un groupe parfaitement à côté de ses pompes : jusqu'ici, tout se tient. Gallhammer semble pourtant, sur le papier, plutôt innocent : trois Japonaises (des filles ! Messieurs, on se calme et on regarde les pseudo, OK ?) qui, d'un coup d'un seul, montent un groupe et apprennent à jouer de leurs instruments. Dans cet ordre là, sur le mode « on cogne et on réfléchit ensuite ». On s'attend à de la J-Pop mal foutue, suintante de barbe-à-papa et de kawaï tout au long de morceaux composés sur trois accords. TOUT FAUX. Ou presque (on a bon pour les morceaux tenant sur trois accords, yes !). Gallhammer, c'est surtout une bombasse de black metal lorgnant très franchement vers le punk. Gallhammer, c'est aussi la réunion de trois âmes perdues qui expriment leur dégoût du monde en jouant n'importe quoi, n'importe comment et le plus méchamment possible. Le Do It Yourself est de rigueur, à son niveau d'exigence le plus faible, s'il-vous-plait. Ici, on s'attelle à la tâche avec la précision et la délicatesse d'un enfant de cinq ans armé d'un bâton de colle, d'une paire de ciseaux et d'un sachet de gommettes. Vous voyez le genre. Inutile d'insister sur la forme de ces douze brûlots puisqu'il suffira de préciser qu'ils sont sales, mal joués, mal captés, mal foutus. Ils lorgnent vers le doom pour la vitesse d’exécution moyenne, vers le black pour l'imagerie evil, vers le punk pour l'énergie ou le vers le crust pour le dégoût généralisé qui émane de ces "notes". Gallhammer, c'est encore du grand n'importe quoi, violent, haineux et désespéré à ranger aux cotés d'un Eyehategod (pour l'esprit, pas pour le style) se levant du pied gauche, ivre à midi, comme pour se récompenser des efforts du matin.
Maintenant que j'ai perdu une bonne moitié de mes lecteurs, je pourrais parler du groupe encore plus crûment. La sélection par l'extrême, en quelque sorte. Je vais vous épargner ça bien que cette méthode de sélection soit parfaitement adaptée à Gallhammer, dont le propos ne peut laisser personne indifférent. Jugez plutôt qu'à l'heure de rédaction de ces lignes, sur ce même webzine, les notes récoltées par le groupe pour deux autres de leurs "oeuvres" sont respectivement 17/20 et 3/20. Personne ne reste indifférent on vous dit. Mais honnêtement, comment pourrait-on reprocher une descente en flamme du groupe de la part de l'auditeur qui serait pris par surprise par des morceaux comme l'abruti "Selfish Selfless" (1 minute 18 secondes au compteur...) ou comme l'obscur "Hallucination", peut-être encore plus sale que le reste ? D'un autre coté, on comprend aussi celui qui s'émoustille devant le désespoir vomi et contagieux de morceaux comme "Aloof And Proud Silence" ou "Beyond The Hate Red", ce dernier étant presque... mélodique (conseil: l'amateur d'Edguy peut toutefois se dispenser de l'écoute du titre...). The Dawn Of... n'est d'ailleurs pas un album à proprement parler mais une compilation de morceaux, divers, inédits tirés du premier opus ou jadis préfigurant le suivant (le fort bon Ill Innocence, dont on retrouve ici le blackisé "Speed of Blood" et l'ébauche du doomesque "At the Onset of the Age of Despair"). En résulte un coté décousu et mal maîtrisé accentuant un peu plus encore la sensation d'amateurisme brut (cf, parmi tous les autres, les deux derniers morceaux, significatifs de la précision live du groupe...) telle qu'on la connaissait jadis sur les premiers Venom et autres Darkthrone.
Le constat semble plutôt clair : ce disque est mauvais. Gallhammer compose mal, joue mal, chante mal, fait tout mal... mais le fait bien ! Selon l'approche, la musique (sic !) éruptive et noire comme de la cendre pourra rebuter ou accrocher sa proie (coucou, c'est vous) avec une violence certaine quelle que soit l'option retenue. Le plus souvent, elle rebutera, c'est certain. Pourtant, ô, pourtant, The Dawn Of... est loin d'être dénué d’intérêt. Evidemment, il sera ardu de faire admettre à votre entourage que, oui, il est possible de prendre un certain plaisir à écouter "ça". Et il sera encore plus difficile de répondre à la traditionnelle remarque: « Encore en train d'écouter du bruit ? Tu ne veux pas grandir un peu ? ». En même temps, pourquoi répondre quand on peut monter le son ? The Dawn Of... est un manifeste pour l'amateurisme qui s'assume.