Earth -
Phase 3: Thrones And Dominions
Je me souviens être tombé amoureux de l'album aux Abeilles, The Bees Made Honey In The Lion's Skull. Tout y était clair et limpide. Les notes ruisselaient naturellement. Le miel et l'été. Le jaune comme couleur dominante. C'était beau. Un jour, après avoir fait tourner la ruche pour la centième fois et voulant en savoir plus, il fallait que j'aille voir à quoi ressemblait "le reste", si "reste" il y avait. Car à cette époque, ma connaissance du groupe était nulle. Zéro. Je me suis bien rattrapé depuis. Bref. Un tour sur le net m'apprenait que la discographie du groupe comptait plus d'albums que moi d'années, ou presque. Par où commencer? Comment s'y prendre? La tâche semblait insurmontable. C'est là qu'une jeune fille à l'air espiègle se présenta et me prit par la main. Par celle qui ne tenait pas d'oeuf.
Encore aujourd'hui, j'ignore si saisir cette main tendue était une bonne chose. Salvatrice, cette promesse d'aide me semblait être un cadeau. Et c'en était un, certes, mais empoisonné. Dans la main de la jeune fille se trouvait une pilule gris-rouge. Phase 3: Thrones and Dominions. Le piège se refermait. Dès les premières notes, la nausée me montait à la tête. Les oreilles grésillaient, la vue se troublait et le monde semblait disparaître sous la fumée et la dope. J'avais dû me tromper. La fille ne pouvait avoir aucun lien avec l'album aux Abeilles. Ici, tout était doux comme du papier de verre. La fille me dit s'appeler "Harvey". Drôle de nom pour une gamine. Il était plus que temps de partir... d' aller voir ailleurs... pour respirer. Pour retrouver les Abeilles. J'ignorais alors que la rencontre laisserait des séquelles. Et pourtant, la présentation, bien que rude, avait été du genre soft.
De retour à la maison, je m'informait. La pilule avait des dérivés. Plus ancienne, la substance Earth 2 était minimaliste, jusqu'au-boutiste. Plus récente, Pentastar offrait un stoner rythmé et compréhensible. Entre les deux se trouvait mon Phase 3. Par comparaison à Earth 2, Phase 3 n'était rien. 8 effets secondaires, dont le plus long ne devait pas dépasser le quart d'heure contre 3 sur Earth 2. Davantage de variations, de couleurs. Quelques moments pour respirer, à l'instar de cette guitare acoustique sur "Site Specific Carnivorous Occurrence" (qui contient en outre la seule piste de batterie de toute la séance) et "Song 6 (Chime)". Parfois, même se faisait entendre le futur virage amorcé sur Hex via, ici, l'americana sursaturé de "Lullaby". Désormais informé et prêt à tout, je décidais de retourner voir la fille pour lui emprunter une nouvelle dose. Les premiers effets avaient été agréables, finalement. "Harvey", "Song 4", "Song 6" et "Lullaby" ne présentaient pas beaucoup de risque. Pourquoi ne pas recommencer?
Courts et toujours vrombissantes, ces plages de début et fin de trip contenaient suffisamment de mélodies pour être agréables. Le coeur de la défonce était, bien sur, une autre histoire. J'ai déjà évoqué "Tibetan Quaaludes", dont le riff infini me revient encore en mémoire. Evidemment, rien d'insurmontable pour qui avait goûté le Earth 2. Seul le son sec, aride et sans basses pourra choquer. En revanche, "Phase 3: Agni Detonating..." était une autre affaire. De la chambre cosy de la jeune fille, je me retrouvais précipité dans le désert. Un désert aux sols mouvants et plongé en pleine tempête de sable. Dur de garder l'équilibre et la tête froide au milieu de tout ce flanger. C'était le moment bad-trip de la pilule. Le coeur de la Phase 3. "Thrones And Dominions" devait équilibrer le tout. Ambiance apaisée, loooooong-feedback, guitares sifflantes, mélodies aléatoires et reposantes. Il fallait la mériter, mais voilà qu'arrivait la récompense de Phase 3: la plénitude après le désert.
Plus tard, la fille est montée en voiture sans un signe et est partie. Je suppose que c'était mieux comme ça. Un voyage comme ce Phase 3 monte vite à la tête on en ressort forcément un peu hébété. Mieux vaut arrêter à temps. Les sons y résonnent très loin du calme des Abeilles qui pourtant se devinent déjà. La mélodie transperce la couche de drone, les compositions raccourcissent, la lumière commence à apparaître. Après avoir touché l'essence du drone sur Earth 2, il ne pouvait en être autrement. L'évolution est logique et continuera par la suite. Il parait qu'Harvey distribue, encore aujourd'hui, ses pilules à qui les désire... Cherchez-là, testez, ça vaut le coup. Elle est gentille, dans le fond, cette fille.