Bien qu'ayant tiré les premiers avec un album auto intulé paru dès 1979 chez Carrere, la maison de disque de Sheila, les Anglais de Saxon n'en ont pas tiré avantage et voient débouler de tous côtés de féroces combattants sur ce nouveau champ de bataille qu'est la NWOBHM. Leur premier effort, trop respectueux des aînés Deep Purple, UFO et AC/DC, ne leur a pas permis de s'imposer en fer de lance de ce mouvement musical qui s'apprête à balayer les dinosaures ronronnants du hard rock des années soixante-dix. Mais en 1980, alors que les sections les plus prometteuses du genre délivrent leur premier lp, le chanteur « Biff » Byford et ses comparses sont bien décidés à remettre les pendules à l'heure avec la sortie de Wheels of Steel.
Pour ce faire, le quintet de Barnsley a décidé de miser sur l'imagerie biker initiée sur "Stallions of the Highway" figurant sur la réalisation inaugurale. L'intitulé du recueil, sa pochette et la plupart des pistes font directement référence à l'asphalte et aux grosses cylindrées, ce qui va leur attirer le prestigieux parrainage de Motörhead et la ferveur des motards adeptes de heavy sans chichis. Les Britanniques ont en effet recentré leur propos – finis les envolées blues et les chœurs délicats qui parsemaient leur enregistrement précédent. Désormais, on fait dans le carré, le direct et le sévèrement burné. Bien aidé par le producteur Peter Hinton, Saxon adopte un son à la fois plein et tranchant qui lui permet d'être autant à l'aise sur les tempos lourds que les séquences rapides. Tous ces ingrédients viennent transcender l'indéniable potentiel d'un collectif qui ne renferme pas de virtuoses en son sein mais dont la cohésion est déjà bien affirmée – le groupe existe depuis 1976 – et qui détient avec Byford une signature vocale qui les distingue de la plupart de leurs contemporains. Évoluant dans un registre aigu sans pour autant atteindre la stridence, celui-ci fait songer à un Bon Scott en un peu moins éraillé, un peu moins bluesy aussi. La généreuse dose de réverb' confère à son chant une (relative) froideur qui s'accorde à merveille avec l'ambiance délibérément metal instaurée par ses acolytes. Les interventions de Byford s'inscrivent cependant dans une veine très mélodique, comme en attestent les couplets mélancoliques de "Suzie Hold On".
En ouverture, l'explicite "Motorcycle Man" avec ses vrombissements liminaires, pose le décor : un riff simple et nerveux, des vocaux puissants et paire rythmique musclée – la partie de batterie sur le second solo faisant songer à "Overkill" de Motörhead. La complicité des deux guitaristes Quinn et Oliver est évidente, mettant leur force de frappe au service d'une composition rigoureuse au tempo soutenu. À ce futur classique s'ajoutent deux autres plus lents - "747 (Strangers in the Night)" qui tire un peu en longueur malgré l'astucieuse accalmie sur le refrain et l'hymne "Wheels of Steel", véritable appel au headbanging dont le motif basique à la six-cordes est répété jusqu'à plus soif, évoquant une version pépère du "Suzie Smiled" que les Tygers of Pan Tang sortiront quelques semaines plus tard. Mais lorsque les membres de Saxon attaquent les titres rapides, on change de braquet. Frondeuses et speedées, "Freeway Mad", "Street Fighting Gang" et dans une moindre mesure "Stand Up and Be Counted" ne donnent pas dans le bavardage inutile et prouvent que ces metalheads n'ont pas complètement squeezé le punk. Oui, les mecs de Saxon peuvent (encore) être dangereux et la jouer petites frappes, l'affolant "Freeway Mad" s'achevant d'ailleurs dans les sirènes des bagnoles de flics.
Mais pour faire un grand disque, il faut des coups de génie. Ce dernier terme est sans doute un peu exagéré s'agissant de types qui inspireront Spinal Tap mais il faut bien admettre que la rupture totalement imprévisible au mitan de "See the Light Shining" constitue un des moments les plus savoureux de l'œuvre, permettant de fondre deux excellents morceaux en un et ce en toute fluidité. On est loin du leitmotiv un peu bas du front de la chanson-titre. Et puis on doit absolument parler de "Machine Gun". Présentant de troublantes mais fortuites similitudes avec "Steeler" qui clôt le British Steel de Judas Priest paru un mois auparavant, ce final apocalyptique explose dans une folie jubilatoire : introduit par un court solo décadent, un riff brûlant ravage les neurones et envoie son petit frère râblé défier un Byford poussé dans ses retranchements. Le refrain n'a jamais été aussi simple mais la « machine » est implacable. Le métronome s'affole – on en attendait pas moins avec un intitulé pareil. Déboule alors une première séquence déchiquetée au vibrato tandis que la rythmique bastonne comme jamais. Un solo plus construit remet le morceau sur les rails, le riff de ouf' reprend avant que le monstre ne s'abîme dans un nouveau maelström de grattes en fusion d'où surnage l'imperturbable duo basse-batterie. Gill fouette ses cymbales puis c'est l'ultime explosion.
Si le débat afin de désigner le meilleur album de Saxon entraîne souvent ses (nombreux) fans dans des discussions sans fin, tous s'accordent cependant sur la très haute qualité de ce Wheels of Steel qu'aucun d'entre eux ne saurait négliger – la formation en joue encore des extraits sur scène plus de trente ans après sa sortie. Loin d'imposer un mode d'expression unique, le gang du Yorkshire module son heavy tour à tour carré, fiévreux, sauvage et exalté. Sans fioritures mais gorgée de bonnes idées, la deuxième livraison des ex-Sons of Bitch permettent à ces derniers d'intégrer avec panache le peloton de tête du metal britannique. Et ils n'ont pas l'intention de se faire lâcher au prochain col.