Ahab -
The Divinity of Oceans
Un après-midi d’août. Été 2009. Il pleut. Le ciel est vraiment pourri cette année là et je n'ai rien d'autre à faire que d'aller me traîner en ville. A la limite, la pluie ne me dérange pas. On y est habitué en Normandie. Le passage dans un bar est suivi d'un passage devant le rayon musical le plus proche... sait-on jamais. Fouine, re-fouine... et une découverte. Je tombez nez à nez avec le radeau de la méduse de Géricault, ce tableau si impressionnant situé pas loin de la Joconde qui, ridicule, attire pourtant à elle tous les regards. Je prends le disque en main et lis le sticker promotionnel : « Nautik Funeral Doom ! » Pardon ? « Nautik Funeral Doom » ? Il faut que j'en sache davantage.
Avec le recul, The Call of the Wretched Sea, premier album du trio germanique, est trop lourd, trop violent, tout le temps, pour réellement me transporter vers un univers à part entière. Il impressionne, il est démesuré, il écrase, mais il ne transporte pas vraiment. Or, c'est très précisément ce que parvient à faire Ahab sur son second album, trois années après un premier opus pourtant érigé en nouvelle figure classique du genre. Dès le départ de "Yet Another Raft of the Medusa..." (oh, serait-ce de l'autodérision ?), le ton est donné : quelques notes claires et noyées d'échos résonnent... avant que la tempête du funeral doom ne se déclenche, et avec elle ses riffs magnifiquement lents et sa voix abyssale. Rien que de très classique - et pourtant, même sur ce terrain balisé, on remarque la puissance du groupe, qui se démarque par une maîtrise exemplaires des codes - avant que ne surviennent enfin les éléments qui font de The Divinity of Oceans un album d'une classe supérieure à The Call, et supérieur aux autres sorties du genre. Car Divinity, en plus de balancer sept compositions réfléchies et relativement variées (pour le genre, c'est un petit exploit), ajoute à la tambouille classique de quoi faire la différence avec le reste du microcosme officiant dans le genre. Et que les puristes se rassurent, toujours pas de claviers à l'horizon !
Première différence entre cet album est le reste de la masse des sorties : cette façon d'aérer les compositions, d'écarter par instant les gros riffs pour laisser passer des moments de flottement qui changent tout, des arpèges salvateurs, apaisants et en suspension ("Nickerson's Theme"...). Deuxième vibration particulière : l'omniprésence d'une guitare lead fantomatique, comme un phare au milieu d'un funeral doom massif, repère qui n'était qu'ébauché sur The Call et qui trouve ici sa pleine ampleur. L’insaisissable instrument, qui semble improviser ses parties au fur et à mesure du déroulement des accords écrasants, plane sur toute la durée de l'album, créant un climat de mélancolie extrême trouvant son paroxysme sur "Redemption Lost". Enfin, le dernier élément caractéristique, énorme avancée depuis The Call, est cette voix, tour à tour growl profond comme le genre l'exige, mais aussi claire et céleste à la manière d'un chant grégorien. Cette dichotomie élève la musique d'Ahab à un autre niveau et, sans altérer la véritable force des riffs ("O Father Sea", "Gnawing Bones..."), élève l'âme de la musique, qui devient réellement touchante en plus d'être écrasante. Trois éléments distinctifs, donc, qui associés à une parfaite maîtrise des codes traditionnels du genre, font de The Divinity of Oceans l'un des meilleurs album de funeral doom qu'il m'ait été donné d'entendre. Je remercie la pluie m'ayant décidé à sortir de chez moi ce jour-là.
On le sait désormais, The Divinity of Oceans est un album de transition entre un The Call of Wretched Sea extrême au possible et un The Giant qui oriente le son du groupe vers plus de sagesse et de calme, allant jusqu'à piocher dans les ambiances post-rock. Et, ô miracle, en tant que chaînon entre ces deux périodes, The Divinity of Oceans possède la force des deux productions sans en prendre les défauts. Un tour de maître, en somme, au moins aussi impressionnant que le récit du tableau dont il s'inspire.