Écrire sur Dylan ? Mais quelle prétention ! Tant d’encre a déjà coulé sur le bonhomme. Et puis, les Eternels, n’est-ce pas là un site dédié avant tout au metal pur essence ? Que vient donc faire ici ce monstre de country-rock ? A cela je vous répondrai stupidement : « but my dears, cause Frankie Lee and Judas Priest, they were the best fiends » !!! Oui, Dylan n’est pas ici chroniqué en tant qu’artiste, mais en tant que « muse ». Judas Priest lui a ainsi initialement rendu hommage en s’affublant de ce nom. Les Gun's, Hendrix, Neil Young, Wovenhand et même Candelmass mes chers ! Et tant d’autres encore, sans lassitude, depuis tant d’années, illustres et anonymes, n’ont pas résisté à l’attraction du Grand Dylan, et pour notre plus grand plaisir, pour notre jouissance, se sont pétris de Ses œuvres ! Alors, hommage, une fois encore pour le poète intemporel !
«
Les gens qui n’aiment pas les chansons de Dylan devraient lire ses textes » disait Hendrix.
John Wesley Harding est un album très révélateur de la personnalité de Dylan. Un album totalement à contre-courant, inspirant, émouvant, comme lui. Paru en pleine vague «
Flower Power », heure à laquelle chaque artiste se décarcassait afin de nous offrir des trésors de complexité, de subtilités, Dylan au contraire, nous sert ici une œuvre d’une pureté, d’une fraîcheur et d’une simplicité apparente, proprement déconcertantes pour l’époque. Une basse et une batterie très discrètes pour tout accompagnement, un retour à la guitare acoustique, l’harmonica bien entendu, un piano discret lui aussi, l’organe vocal comme seul lead ! Rien de plus, aucun artefact ! Et pourtant, quelque chose de si addictif ! Mais qu’est-ce donc ? Comment cette voix souffreteuse, cette instrumentation minimale, cette poésie qui n’atteint plus les mêmes échappées que par le passé, peuvent-elles susciter un tel émoi ? Quel est donc le secret de
John Wesley Harding? L’album crée la surprise. Y verra-t-on la réaction d’assagissement à la suite de son accident de moto survenu en 1966, incident qui lui a valu de disparaître un temps de la scène publique, nourrissant jusqu’aux plus folles rumeurs de décès, de folie, voire de rapt par la CIA ? Un besoin irrépressible de sagesse, de quiétude, de retour aux origines ? Y verra-t-on une sorte presque de renoncement à l’image du contestataire pour une orientation plus mystique ? Votre chroniqueuse dévouée n’y croit pas tout à fait ! Certes, le bonhomme reconnaît lui-même que sa vie, jalonnée d’excès, méritait une accalmie, mais Dylan a quelque chose en lui de « pas bien sage, pas bien rangé », malgré ces nouvelles apparences. Et c’est certainement cela qui le rend si attrayant.
"As I Went Out One Morning", charmante petite balade, toute simple, courte et empreinte à priori d’une douce nostalgie si on ne se fie pas qu'à sa musicalité, est un titre révélateur du paradoxe de cet album. En effet, il a tout ce qu’il faut pour mettre la puce à l’oreille. Écoutez donc ses paroles avec attention. Que vient donc faire ce cher Tom Paine, militant pour l’indépendance, défenseur généreux des idées révolutionnaires et de l’épanouissement humain, dans le rôle de l’esclavagiste qui rappelle cette «
lovely girl » qui n’a jamais connu que les chaînes, à sa tâche dans les champs ? Dylan a été invité en 1963 à recevoir le fameux prix Tom Paine, cette distinction qui honore les personnes qui par leur action symbolisent la lutte pour l’égalité et la liberté. Ce jour-là, il crée le scandale en débitant un discours par lequel il affichait, entre autres, sa compréhension vis-à-vis de l’assassin de Kennedy. Mais en vérité, Dylan était si mal à l’aise dans une assemblée de personnes qui à son sens ne partageaient pas le même point de vue que lui, qu’il s’est tout bonnement saoulé et lâché, probablement de dépit ! De là, il a exulté le sentiment qu’il éprouvait vis-à-vis d’une masse de personnes qui, selon-lui, pour se donner simplement bonne conscience, se contentaient de « payer » et de paraître. De quoi être dégoûté dans le fond. Mais lui-même, a cédé au final : il a par la suite pris sur lui de dédommager financièrement la société qui l’avait invité !!! Rentrant donc dans le rang de ceux qu’ils critiquait si ouvertement ? Alors, ce titre, "As I Went Out One morning" ? Illustration de son humilité nouvelle ou au contraire, remugle d’amertume ?
Quid d’ailleurs de ce "John Wesley Harding" ? Le personnage dont Dylan trace le portrait a véritablement existé ! C’était un hors la loi et un flingueur né en 1853 au Texas et auquel on attribue plus de 30 meurtres de sang-froid. Le personnage aurait été si cruel qu’il aurait assassiné un homme pour cause de son simplement ronflement. Mais dans le même temps, les personnes qui le connaissaient de près, et John Wesley Harding lui même d’ailleurs, ont toujours nié ces crimes et rependaient ainsi l’image d’un homme, au contraire, d’une grande bonté, un véritable «
gentlemen ». Une légende proche de notre Robin des Bois était alors née. On se plait souvent à ce que Dylan ait repris cette jolie histoire à son compte. On croit y voir un parallèle avec son propre parcours en compagnie de Joan Baez, lorsqu’ils militaient ensemble pour les droits civiques dans ce «
Chayney County ». Mais pourtant, selon ses propres dires, Dylan n’attachait en vérité aucune importance à ce personnage haut en couleurs. Il aurait simplement voulu écrire une longue balade, un peu à la manière d’un cow-boy. Mais le rythme de la chanson l’essoufflait et il s’est interrompu au bout de quelques strophes, pour nous livrer la version que nous connaissons. Alors, que penser de cette chanson ? Véritable accalmie ou pied de nez engagé encore une fois ? Dylan, se plait-il à revenir réellement aux sources, à conter simplement de jolies histoires à écouter au coin du feu sans plus se poser de questions ?
John Wesley Harding est un album qui recèle également bien des références christiques, d’où la sensation d’un véritable tournant dans la vie de Dylan : un besoin d’épanouissement plus personnel, plus mystique. D’aucuns ont pu y percevoir l’écho du livre d’Isaïe, des références à Abel et Caïn, etc ... La critique du monde du spectacle et de ses dérives d’ailleurs, se ferait vive derrière des titres comme l’inspirant "The Ballad Of Frankie Lee and Judas Priest" ou encore "Dear Landlord", qui semble illustrer l'avilissement personnel de l’artiste vis-à-vis de son manager. "I’m a poor Lonesome Hobo" encore, résonne comme une sorte d’avertissement sur le prix à payer dans ce monde où l’on a vite les dents longues. Tout cela apparaît comme un sage bilan, posé suite à son accident qui serait constitutif d'une forme de révélation. Mais on ne peut s’empêcher de relever aussi dans le même temps, une acidité farouche, comme dans "I Dreamed I Saw St Augustine" : doit on y percevoir une simple balade songeuse ou une touche d’ironie dans laquelle Dylan nie l’existence de martyrs modernes ? Comme une façon de montrer malicieusement du doigt la négation de ceux qui tentent de s’exprimer et sa propre incapacité à y changer quoi que ce soit ? Tel le "Wicked Messenger ", un peu plus loin dans l'album ? Il y a bon nombre de vagabonds, de parias, de hors-la-loi dans cet album, à côté des Saints, mais ils ont souvent un petit quelque chose de trop arrogant pour des personnages qui devraient pourtant faire amende honorable !
Dylan a véritablement quelque chose d’insaisissable. Si on l’interroge, il se dérobe, donne l’impression de vouloir faire les choses simplement et sans astuce : un retour aux sources donc, dans une Amérique country, pétrie de ces contes ambiance rocking-chair, avec cette touche d’onirisme qui lui est propre à titre d'empreinte personnelle, même si elle est à priori plus mesurée que dans ses précédentes œuvres, et enfin, cette ambiance mystique portée par les relents d'une ferveur christique nouvelle. Mais, lui même échappe à cette heure à tout questionnement que l'on lui pose et reste évasif. Dans le fond, ses textes sont extrêmement nourris, lourds de sous-entendus, bien plus qu'en apparence. Dylan, n'est-il pas écrivain reconnu d'ailleurs ? Ses écrits ne peuvent être perçus comme légers. Alors, qu’à-t-on le droit (ou l’envie) d’y voir vraiment ? C’est probablement l’une des raisons qui pousse tant d’artistes à s’inspirer de lui. Hendrix encore disait qu’il aimerai emprunter sa plume à Dylan. Reprenant ce titre sublime, plus connu d’ailleurs sous son égide que sous celle de son propre auteur, "All Along the Watchtower", il disait qu’il percevait cette chanson comme s’il l’avait écrite lui-même, tant il s’en sentait proche. L’écriture de Dylan a cet aspect paradoxal que chacun peut à la fois se sentir déconcerté et touché, imprégné par elle. Elle est à la fois engagée et retenue ! Chacun peut y trouver ce qu’il souhaite y entendre et se l'approprier ! N’est-ce pas là une forme de liberté parfaitement aboutie ? Le plus beau des pieds de nez qu’un artiste peut faire ?
Allons. Ceci n’est qu’une mise en bouche. Je ne détaillerai pas plus. Ma propre passion pour cet album m’entraînerai à dépasser le codex du site et il y aurai tant et tant à dire ... Cette chronique est donc pour une fois, hors code et parfaitement subjective.Tout est certes perfectible en ce bas monde, mais Dylan est un poète intemporel, dont les voix/voies sont impénétrables, qui irradie et inspire de manière rare. Difficile donc de le juger en toute objectivité. L’envie me manque de le faire d'ailleurs, je dois bien le dire. Seul le plaisir compte. Alors, je vous invite simplement à vous replonger dans cet album hors du temps, comme je l'ai fait moi même, lorsqu'une personne qui m'est chère a eu l'excellent goût de m'offrir ce disque. Laissez-vous donc aller à votre propre perception des choses et si ma foi, vous entrez dans le jeu, si vous « entendez » vraiment, poursuivez alors à fredonner, ou prenez une guitare et prêtez-vous à jouer à votre tour l'un de ces airs, tranquillement dans votre coin, vous offrant vous aussi, un instant d'oubli, un plaisant petit pied de nez, moquant le reste du monde.