Avec six albums de qualité en sept ans, les meilleurs ambassadeurs du metal russe se sont rapidement, et à juste titre, imposés parmi les références incontournables d’une frange aussi vaste que fournie du metal : le pagan, étiquette qui ne signifie certes pas grand-chose en définitive, mais qui colle parfaitement à la musique si personnelle de Arkona. De toute manière, Arkona s’est toujours joué de ces étiquettes et ce n’est pas ce septième album qui me fera mentir, signant incontestablement son album le moins facilement abordable.
Qu'elle semble difficile l’assimilation de ce Yav ! Loin de nous l’enchaînement de titres courts et tubesque de Goi Rode Goi, exit les "Nevidal", "Yarilo", "Kupalets" et autres "Stenka Na Stenku", morceaux folk plus communs et facilement identifiables. Tout d’abord, les titres, moins nombreux que sur les albums précédents, sont en contrepartie plus longs dans l’ensemble, tournant généralement autour des sept minutes. Ce contexte est propice à une relative complexification des structures et des arrangements, que ce soit au niveau des violons des instruments folkloriques ou des chœurs, pour un résultat légèrement progressif (et parfois un petit peu maladroit au niveau des transitions entre certains plans) sur plusieurs morceaux, comme "Zarozhdenie" (« Prémices ») ou l’épique "Chado Indigo" (« L’enfant Indigo »). En revanche, bien loin des essais légèrement symphoniques de Slovo, Arkona en profite aussi épisodiquement pour revenir à l’utilisation de nappes claviers cheap que le groupe semblait avoir abandonné depuis plusieurs albums, comme sur l’intro spatiale de "Serbia".
Ensuite, « Yav » désigne notre monde matériel dans la culture russe et c’est peut-être la raison pour laquelle la musique du groupe semble s’être légèrement éloignée de ses racines folks, moins proéminentes que par le passé quoique que toujours présentes au rendez-vous. Conséquence directe ou non de cette relégation des flutiaux au second plan, Yav apparaît comment étant l’album de Arkona le plus sombre, du moins le plus mélancolique. Aucune chanson festive, il faut bien dire que pour le coup, les soixante-dix minutes de l’album laissent la part belle à des titres plus ambiancés et torturés. Ainsi, on ne pourra que constater que les influences black metal, présentes dans la musique de Arkona depuis les débuts, sont une nouvelle fois sur le devant de la scène. Par ailleurs, le lent titre de conclusion, "V b’jat’jah Kramoly" (« Etreint par la sédition »), marque l’apparition d’un chant éraillé assez inhabituel de la part de Masha, une nouvelle fois auteure d’une prestation impressionnante sur l’ensemble des titres.
Cependant, s’imprégner de l’album n’est pas tâche aisée : comme les virgules narratives russophones, pourtant décriées par certains, sont elles aussi plus discrètes qu’auparavant, l’enchaînement des titres est plus homogène et, en l’absence de véritable riff qui tue, on peut dans un premier ne plus vraiment distinguer les différents morceaux entre eux et se retrouver un peu perdu au milieu de l’écoute. Dans ces conditions, la découverte et les premières écoutes de ce Yav peuvent s’avérer franchement décevantes mais c’est sur la durée que "Zov Pustyh Dereven" (« L’appel des villages vides ») et son blast beat particulièrement énervé sur le refrain, "Ved’ma" (« La sorcière ») et son dialogue entre Masha et Thomas Väänänen, l’ancien chanteur de Thryfing, ou encore le morceau suivant, "Chado Indigo" et ses parties acoustiques, semblent s’imposer comme de véritables réussites pour peu qu’on fasse preuve d’un peu de persévérance.
Trois ans après un Slovo qui avait reçu un accueil plutôt mitigé, force est d’avouer que Masha et sa bande ont trouvé la force de faire évoluer sensiblement leur musique afin de ne jamais tomber dans la redite. Revers de la médaille, au contraire de leurs sorties passées, Yav est un album qui nécessitera un bon nombre d’écoutes attentives avant d’être apprécié à sa juste valeur. De ce fait, une bonne partie du public (votre serviteur a lui-même bien failli en faire partie) est susceptible de passer à côté d’un album pourtant très réussi et qui semble remettre Arkona sur de bons rails.