La musique de Primordial - ce black/heavy inimitable s'élevant de Dublin depuis désormais plus de vingt ans - est de celle qui parle d'abord et avant tout aux tripes : au final, seul critère valable pour juger de la qualité d'une œuvre. Where Greater Men Have Fallen est, à ce niveau, un disque supérieur, et la chronique pourrait s'arrêter ici. Ce serait le jugement des tripes. Mais...
... mais le jugement des tripes n'est pas d'une clarté limpide à autrui, à qui veux comprendre. C'est pourquoi il va falloir réfléchir sur le sujet, juste un peu, avant de s'en retourner écouter la chose. Pour le rappel contextuel, il suffit de savoir que The Gathering Wilderness marque le début d'une ascension fulgurante. Critiques unanimes. Chef-d’œuvre. To The Nameless Dead remporte quant à lui les suffrages de l'auditorium. Critiques unanimes. S'en suit Redemption at the Puritan's Hand, moins accessible et moins loué, bien qu'encore meilleur. Le meilleur album du groupe à ce jour. D'une beauté terrassante. Avis d'autorité. Partant de ce constat, chacun était alors plutôt confiant pour Where Greater Men... Chacun avait raison de l'être car objectivement, cet album - qui s'inscrit dans la parfaite lignée de ses prédécesseurs - est une réussite. Toutefois, quelques réserves viennent, non pas noircir le tableau, mais le rendre plus commun.
Au général, la formule n'a pas changé : les éléments black - comment ne pas penser aux riffs ? - tournoient autour du chant presque exclusivement clair d'Alan Averill dans un maelström engagé et vindicatif comme jamais. Sitôt l'énooooooorme piste éponyme lancée, on ne peut qu'être captivé par la violence et la grandeur du propos : le rythme effréné (merci la section rythmique) et la violence guerrière du morceau ne parviennent pas à en ôter la grandeur et la noblesse, deux qualificatifs qui s'appliqueront sans mal à l'ensemble de l'album. Nous laissant retrouver tous nos repères - peut-être un peu trop d'ailleurs, Primordial nous guide à travers sa musique, cinématographique et rentre-dedans dans le même temps. "Wield Lightning to Split the Sun" est un excellent exemple de tout ce que le groupe peut avoir à nous proposer, tant mélancolie et force s'y entremêlent dans la beauté (et ce chant, quelle merveille !).
Toutefois, un bémol doit être apporté. Si Where Greater Men Have Fallen est un excellent album, il est aussi un album relativement quelconque dans la discographie de Primordial. Comme d'habitude, les pistes sont toutes sorties du même moule (7-8 minutes par morceau), comme d'habitude, un morceau jouera les gros bras (c'est ici "The Seed of Tyrants", qui n'est peut-être pas aussi truculent que ses aînés) tandis que d'autres privilégieront les ambiances (la belle et lente progression de "Born To Night", vestige folk de la formation). Bis, Ter, Quater Repetita Etc. Si beau soit le paysage, si majestueux soit-il, force est d'admettre que nous le connaissons désormais presque aussi bien que le groupe lui-même. Une fausse critique que cette dernière : Primordial est seul à faire du Primordial, et ce serait bien étrange que de changer de formule. Mais tout de même, on le sent un peu pataud par moment, ou en tout cas moins percutant, ce nouveau cru.
Primordial délivre une nouvelle fois un album qui fera pâlir beaucoup de groupes cherchant désespérément à être épique et majestueux. Les Irlandais ont ça dans le sang, et, sans feinter, le démontrent au détour de huit pistes, peut-être pas si surprenantes que ça, peut-être pas toujours aussi prenantes qu'elles le devraient, mais d'une qualité toujours certaine. Recommandable, évidemment, bien qu'un peu moins que son aîné direct.