On pourrait croire que Sonata Arctica n’a pas tenté la moindre évolution depuis leurs débuts tonitruants avec Ecliptica en 1999. On pourrait croire que Tony et sa bande se sont contentés de reprendre le flambeau de Stratovarius, et d’enquiller les albums à tendance rapide afin de vivre confortablement des bénéfices effectués sur le marché nippon. On pourrait, dans la mesure où Reckoning Night peut toujours être considéré comme un album de speed-metal mélodique.
Mais on pourrait aussi y identifier le prolongement d’un processus bien réel de personnalisation de la musique de ces Finlandais, déjà entamé sur l’album précédent. Nous entendons les rabat-joie : quels sont, au juste, les véritables changements ? En premier lieu, une utilisation moins caractéristique des claviers, le mérite en revenant à un certain Henrik Klingenberg peu adepte du clavecin. Ensuite, une plus grande variété de tempi, tout au long de l’album comme au sein des morceaux eux-mêmes. Mais surtout, un effort de composition permanent, en particulier au niveau des lignes de chant, qui tend à évacuer du style abordé les redondances trop souvent présentes, mais qui permet aussi au groupe de sortir largement de la masse.
Cela n’est peut-être pas perceptible sur les "Ain’t Your Fairytale" ou "Misplaced", représentants du speed à l’ancienne, où pourtant déjà l’on sent une volonté de s’affranchir des canons du style. On est loin de "Black Diamond", et les amateurs sauront le reconnaître. En revanche, "My Selene", entièrement composé par Jani Liimatainen, révèle bien la relative inexpérience de son auteur, avec un morceau digne de figurer chez Dionysus. Oublions. Ici, l’effort sera fait sur les mid-tempo, la hargne s’aiguisera : "Blinded No More", "Don’t Say A Word", ou les morceaux à tiroir bien plus complexes qu’il n’y paraît au premier abord, et pour une fois riches en émotions. Ce dernier titre, sorti en single, est probablement l’une des plus grandes réussites du groupe à ce jour.
L’innovation est de mise, avec un OVNI à l’esprit «queenesque» : "Wildfire", dans la lignée de "Champagne Bath", amène un sacré coup de chaud au speed. Parties instrumentales faussement bancales – et méchamment techniques -, lignes vocales hystériques (ce pont, mes aïeux…), opératiques, lyriques, mélodiques, grognardes… Où va-t-on ? Sonata parvient à surprendre tout en restant dans son style de prédilection, et c’est un sacré tour de force. "The Boy Who Wanted To Be A Real Puppet" joue également cette carte, dans un registre beaucoup plus soft, limite pop-rock, mais non moins déstabilisant. Le texte fait corps avec la musique, dans cette triste histoire de Pinocchio à l’envers, l’ensemble est plus fort, l’émotion passe. À la libre appréciation de chacun, on peut détester cet enchevêtrement de plans illusoirement sans queue ni tête, mais on devra tout de même reconnaître que ce genre d’entreprise est rare.
Le morceau épique qui va bien est lui aussi particulièrement soigné. "White Pearl, Black Oceans…" aligne tous les registres abordés par le groupe, et va faire mouche grâce à un refrain surpuissant et un Tony en grande inspiration. Rien n’est à jeter dans cette compo rondement menée de bout en bout, même si on aurait apprécié une partie instrumentale un peu plus aventureuse… En tout cas "Destruction Preventer" et "The Power Of One" ont trouvé leur maître. Quant à la ballade "Shamandalie", le reproche du « trop people » pourra encore une fois être formulé à Sonata Arctica, mais le p’tit Kakko y trouve tout de même le moyen de confirmer que ça y est, c’est pour de vrai, et que c’est un vrai vocaliste de référence qu’il est devenu.
Musicalement, le collectif semble s’être ressoudé autour du petit nouveau Klingenberg aux claviers, et s’essaye plus volontiers à quelques parties techniques. Tous ces menus changements annoncent en réalité une petite révolution. Le groupe suit aveuglément le chef Tony dans son orientation, et à raison car ce qui se joue là va devenir très grand par la suite. Sonata Arctica, à son quatrième album, a trouvé sa voie. Le futur leur appartient.