Unia a divisé son public comme rarement un disque l’aura fait. Adhérents enchantés et détracteurs sans pitié, deux ans plus tard, vont devoir s’affronter à nouveau. Lourd, lourd fardeau que porte ce The Days Of Grays. De ces derniers mois, les nouvelles de Kemi parlent d’un album qui va moins loin qu’Unia dans l’expérimentation : une sorte de retour aux sources. Qu’on ne nous fasse pas le coup de l’album de la « synthèse », c’est trop facile. Quitte à définitivement perdre des fans, autant assumer pleinement la nouvelle direction musicale que vous avez choisie !
Voici ce que votre serviteur aurait personnellement aimé pouvoir dire à la bande à Kakko. Il semble aujourd’hui qu’il n’aurait pas été entendu de toute façon. Car le Sonata nouvelle cuvée tend bien à faire machine arrière après un disque culte extrêmement controversé. Serait-ce à dire que le groupe retourne en zone de confort et se met à avorter de toute prise de risque ? Qu’on l’en préserve. The Days Of Grays fait bien écho, par certains aspects, aux hits d’antan ; mais prolonge dans sa quintessence la démarche artistique d’Unia. C’est donc un groupe définitivement ancré dans une nouvelle ère que l’on retrouvera en cette rentrée, en quoi il y a fort à parier que les envoûtés par Unia seront plus comblés que leurs confrères restés au seuil de Reckoning Night.
Sonata Arctica n’est plus un groupe de speed mélodique ; c’est un groupe de rock / metal expérimental qui, de temps en temps, va s’amuser à faire chauffer les tendons du batteur Tommy Portimo. Voilà pourquoi la fosse s’enflammera quand sera jouée live "Flag in the Ground", tant on retrouve dans ce titre l’énergie et la bonne humeur délivrées en leur temps par "The Cage" et "Victoria’s Secret". Mais le propos du groupe aujourd’hui n’en est plus là. Aujourd’hui, un single efficace pour le Sonata « new generation » serait bien plutôt "The Last Amazing Grays", classieux mid-tempo aux mélodies directes et touchantes. Il faudra alors aux radios se résigner à amputer cette chanson de son dernier mouvement, tout à la fois heavy en diable et… symphonique.
Car parmi les dernières trouvailles de Tony Kakko, figure en bonne place le plagiat de son poteau Holopainen. Difficile en effet de ne pas s’imaginer le chanteur influencé par les derniers succès planétaires de Nightwish à l’écoute de ce passage, ou à plus forte raison, de l’épique et sinistre ouvreur "Deathaura", dont les cuivres pleins d’emphase, les cordes vibrantes, et la voix féminine incorporée (tiens ?) rappellent nécessairement Dark Passion Play. Était-ce pertinent ? Toujours est-il que ce titre finit par surprendre dans son développement, en multipliant les changements de rythme, les chœurs et les effets orchestraux jusqu’à la surcharge. Fort heureusement, l’influence Nightwish ne ressortira pas plus avant au cours de l'album.
Ce qui n’empêche pas le clavier d’être à la fête : il est même devenu un socle essentiel de la musique du groupe, que ce soit par ces arrangements omniprésents, ou par ce piano lancinant soutenant en quasi-permanence les lignes de chant. En réalité, la guitare se limite désormais à un rôle rythmique, très peu de leads se font entendre. Tony chante, beaucoup, tout le temps, et les rares plages instrumentales sont plutôt l’occasion pour Klingenberg de briller. Elias, remplaçant de Jani à la gratte, a moins droit à la parole, il faudra l’accepter. En revanche, il y a du bon riff. En milieu d’album, nous retrouvons ainsi des mid-tempo aux ryhmiques hachées totalement jouissives : "The Dead Skin", le titre fourre-tout qui part dans tous les sens, ou "Zeroes", pop énergisante.
"The Truth Is Out There" est une autre réussite, sommet mélodique aux accélérations savamment distillées, comportant un joli et inattendu solo de violoncelle. Mais ne vous y trompez pas : si ces morceaux épatent, c’est en premier lieu grâce à Tony Kakko, qui a pondu des lignes de chant travaillées comme jamais. Totalement à l’aise dans la mélodie soft comme dans le hurlement primaire, le leader se soigne et tente de nombreux effets sur sa voix : micros vintage, téléphone, échos, fondus, etc. Les refrains, globalement, se font plus catchy que sur Unia, mais n’attendons plus les tubes à reprendre instantanément du temps d’Ecliptica. Cette époque est définitivement révolue.
Il ressort de certains titres une atmosphère curieusement triste et glauque, comme "Deathaura" ou "Juliet", due notamment à une utilisation du clavier toute «elfmanienne» novatrice pour le groupe. Pourquoi alors ne pas avoir joué cette carte pour les ballades, qui à nouveau, ratent leur ambition ? "Breathing" et "As If the World Wasn’t Ending" ne fonctionnent pas, et c’est dommage quand on voit de quelles merveilles mélodiques le groupe peut accoucher par ailleurs. La dernière bonne ballade du groupe remonte à … Silence ? Il faut se poser quelques questions, les amis. Seule l’intro / outro "Everything Fades to Gray" s’en sort pas mal dans ce registre...
Mais c’est que ces diables semblent avoir relevé le défi. The Days Of Grays fait un digne successeur d’Unia dans la qualité des arrangements, des structures et de la production. En revanche, là où Unia faisait mouche à peu ou prou toutes les initiatives, certaines frisent ici un goût douteux. Mais qui ne préfère la prise de risque à l’immobilisme ? Les indécrottables vieux fans, peut-être. Un pas en avant est fait à leur endroit avec cet album. C’est à prendre ou à laisser.