Bon, pour mon retour au sein des Eternels, après trois mois de voyage introspectif et d'entraînement plus qu'intensif, avec des mentors de la chronique et des métalleux bouddhistes du Boultékistan, je m'étais fixé comme résolution de ne plus mettre d'aussi hautes notes que par le passé. Résolution ô combien difficile pour mon petit esprit passionné et enflammé. Autant le dire tout de suite, j'ai mis une très bonne note au nouvel album de Neurosis et j'assume, putain de merde! Moi qui m'étais juré d'éviter l'écueil, je n'ai VRAIMENT PAS pu m'empêcher, après quelques écoutes de ce sublime, mais néanmoins intransigeant The Eye Of Every Storm, de lui attribuer pareille note. Mais j'ai d'immenses raisons de penser qu'après le passage de cette tempête-là, la donne va être profondément bouleversée.
OK, OK, Neurosis joue du... Neurosis. Mais du Neurosis jamais, jusque là, arrivé à un tel niveau de réalisation... Cependant, il est sûr et certain que cet album ne plaira pas à tout le monde, loin de là. Intransigeant, je vous l'ai dit. Neurosis se fout royalement des modes et continue l'exploration de son inconscient collectif. Apocalyptique, The Eye Of Every Storm l'est tout autant que Through Silver In Blood ou Times Of Grace. Mais différemment. Plus subtilement. Dès l'entrée en matière que constitue "Burn" avec ses riffs syncopés, ses explosions cathartiques, puis "No River To Take Me Home", on comprend tout de suite où Neurosis place ses intentions: à la fois sonner comme du Neurosis (un metal apocalyptique, syncopé, lourd et très noir) et par conséquent, ne pas jouer la carte de la facilité ("The Eye Of Every Storm" est vraiment très loin d'être accessible à la première écoute), mais aussi jouer des différentes expériences du groupe et de ses membres (Tribes Of Neurot, Neurosis & Jarboe...) pour en tirer la substantifique et expérimentale moëlle et l'intégrer à ses compositions.
Et bien leur en a pris, car The Eye Of Every Storm EST le produit de cette fameuse substantifique moëlle. The Eye Of Every Storm EST le meilleur album de Neurosis à ce jour. Il y a un peu de ce qui faisait le sel de Times Of Grace et A Sun That Never Sets dans "Burn" (quel final monstrueux de la part des deux guitares!) et "No River To Take Me Home". Quant au morceau-titre-fleuve (douze minutes!), il prend son temps (comme la suite de l'album, d'ailleurs). De respirer. De laisser planer le doute puis d'expirer d'une haleine hautement inflammable. Les textures sont riches, volatiles, les guitares se font plus discrètes (sauf lors d'un final encore une fois meurtrier), moins distordues. Ce morceau est une atmosphère à lui tout seul, tout comme l'est "Left to Wander" et son swing de désolation. Le tempo est lent, assénant ses rythmes tels un marteau, laissant place, dans ses dernières minutes, à une ambiance magistrale, qui s'essouffle peu à peu pour disparaître dans le néant de "Shelter", un morceau minimaliste mais très subtile avec sa guitare majestueuse et sa batterie des hautes sphères, encore une fois organique, brute et parfaitement dans le ton. Ambiance, ambiance...
"A Season In The Sky" est, à coup sûr, la combinaison des deux précédents morceaux. La voix écorchée, unique en son genre, de Scott Kelly sied décidément à merveille à la musique si particulière de Neurosis, tout comme le propos suit l'ambiance. Doom pour la rythmique, la signature de guitare sublime répétée à l'envi et la progression tout en puissance, ce morceau compte parmi les meilleurs de Neurosis. Lancinant, long, mais loin, loin, loin d'être ennuyeux. De toute façon, il n'y a aucune faute de goût sur cet album. "Bridges", peut-être le morceau le plus expérimental de l'album (écoutez, fermez les yeux et imprégnez-vous de l'ambiance qui en ressort!) et "I Can See You" sont les deux dernières claques que l'on prend en écoutant The Eye Of Every Storm.
Peut-être est-ce une question de rythme (à la fois absent, lancinant et à la fois prenant), mais The Eye Of Every Storm n'est pas une démonstration technique et n'est pas un disque de metal à proprement parler. C'est une expérience à vivre. A ne pas mettre entre toutes les mains. Une fois la première impression passée (qui soit sera très positive, soit carrément désastreuse) et si l'envie vous prend, laissez-vous happer par l'atmosphère qui règne sur ce chef d'oeuvre. Dépressif, ce disque ne l'est pas vraiment. Il en ressort une lueur d'espoir, bien cachée certes, mais présente à tout moment.
The Eye Of Every Storm est bien partant pour être un des disques de l'année, voire de la décennie. Du fond du coeur, bouleversant, audacieux au-delà des limites. Voilà pourquoi j'ai mis cette note et que je n'en remettrai pas une aussi bonne de sitôt (juré, promis!), maintenant que la barrière est placée là-haut, tout là-haut, vers ces cieux musicaux que l'on ose à peine toucher du bout des doigts.