Il y a des moments, comme ça, on pourrait presque croire au destin. Par exemple, quand un groupe que vous auriez préféré oublier se rappelle à vous, de la manière la plus ostentatoire et la plus inévitable qui puisse exister. Humour un brin pervers, références obscures, mystère de l'âme slave, le tout à la sauce retour aux sources – comment résister à ce cocktail qui vous scotche dès le premier coup d'oeil à la pochette ?
On se dit, en la regardant, pour peu qu'on soit un peu au courant de l'histoire de la Russie au début du XXème siècle, « damned, mais c'est bien sûr ! » Qui d'autre que ce moine auto-proclamé, imposteur à la cour du Tsar, confident mystique, guérisseur de l'héritier du trône, et organisateur d'orgies rédemptrices (oui oui, vous avez bien lu), qui mieux que Raspoutine pouvait réunir autant de symboles familiers à Type O Negative, que ce soit une légende brumeuse, parfois montée de toutes pièces, la provocation et les blagues douteuses, la pesanteur des influences doom, l'air à la fois déprimant et lubrique1 du goth1, ou encore une fixette sur les stupéfiants et le sexe, assumée, voire carrément contée dans ses détails les plus croustillants ? Il reste juste à trouver un lien avec Brooklyn, NY, et on pourra quasiment parler de faux jumeau historique.
Bon, rassurez-vous, derrière tout ça, Pete & Co ont encore des forces pour faire un peu de musique. Le punk n'est pas resté sur place depuis Slow, Deep And Hard, alors le groupe tente de rattrapper le temps perdu à faire du goth pour adolescentes ou à déprimer. C'est peut-être pour ça que le titre éponyme sonne comme une version condensée de "Unsuccessfully Coping...", mais où le hardcore new-yorkais aurait été troqué contre son cousin californien. Le tout avec l'éternel son flou des guitares de Type O, et un Peter Steele qui trouve de nouvelles nuances vocales – ou des nouveaux effets, va savoir –, que demander de plus ? De grosses touches stoner sur "Tripping A Blind Man" ? Le désormais classique doom à la Type O, par moments oppressant comme jamais, avec une teinte psychédélique, sur "Profits of Doom" ?
Il y a plus anecdotique dans le tas, comme "September Sun", auto-citation un peu fadasse et surtout très répétitive de titres à la "Burnt Flowers Fallen". Le message festif très clair de "Halloween In Heaven (...heaven in hell)", accompagné de ses choeurs si sensuels, féminins comme masculins, ça aide à faire passer la longueur douteuse de "These Three Things". Même si un Type O version néo-prog n'est pas une grande réussite, ça n'irrite pas l'oreille, et passée la moitié du disque, tout coule de manière assez paisible, pas tant au niveau de la musique, mais surtout à celui des bonnes et mauvaises surprises qu'il peut nous proposer.
Un début marquant, quelques choses un peu too much à mi-chemin et une fin de qualité, il en faudra peut-être un petit peu plus pour laisser une trace dans l'Histoire aussi marquante que celle de l'éminent homologue historique russe, m'enfin on se rassure, les musiciens de Type O, eux, sont encore vivants.
1. Oui, il n'a pas l'air très sexy Raspoutine comme ça, mais il faut croire que, pour les dames de la cour, l'apposition des mains ou un organe sexuel dont la longueur est estimée à 30cm par certains spécialistes étaient des arguments plus importants que la pilosité faciale ou le bon goût vestimentaire.