Vingt-deux ans pour sortir un album. On savait la formation menée par Kevin Shields assez peu pressée et perfectionniste, mais là… Il est néanmoins nécessaire de rendre à César ce qui est à César et de rappeler que My Bloody Valentine, suite à la sortie de Loveless, qui fera un relatif four commercial du fait d’une promotion inexistante, devait enregistrer un nouvel album; le groupe a cependant plongé dans un silence que l’on imaginait permanent avant d’imploser. Suite à l'une des premières reformations de la sphère shoegaze vers 2007, suivie de multiples tournées devant un public désormais au fait du caractère novateur - voire unique - du genre et du groupe, un nouveau recueil principalement composé de vieux titres voit le jour. Et la hype fut forte.
Une idée reçue circule de façon assez courante, consistant à penser que le temps investi dans la composition et la production sera proportionnellement élevé à la qualité de l'œuvre. De ce point de vue, mbv devrait exploser Loveless dans les grandes largeurs, et se poser comme la nouvelle pierre de touche du shoegaze, voire de la Musique en général. Vous rappelez-vous de votre premier contact avec "Only Shallow" ? Ce choc lorsque vous fûtes percutés par ce son si unique, millefeuille aux couches lénifiantes et hallucinées ? Ici aussi, le choc est de mise, mais pour des raisons différentes. Qu’est-il arrivé à MBV ? Comment peut-on passer de "When You Sleep", chef-d’œuvre de pop torturée et massacrée qui en gardait pourtant l'aspect caressant et mélodique, au noise rock mollasson des deux premiers titres ? La production n’aide évidemment pas, faible qu’elle est, avec des guitares distantes, une batterie lointaine et cachée dans l’écho, sans parler de la basse, noyée dans le mix. C’est à peine si les susurrements de Shields et Butcher nous parviennent à travers cette bouillie.
Le vieillissement du groupe, bien que constaté, suffit-il à justifier le fait que toute l’énergie et le côté dansant sous-jacent dans Loveless aient complètement disparu ? Ici tout respire la crise de la quarantaine, et manque d’un élan salvateur, laissant la musique se vautrer dans les pires travers du genre. Pourtant Shields est toujours capable de placer des progressions d’accords intéressantes, et "New You" ainsi que "Wonder 2" montrent qu’un peu plus d’enthousiasme permet à l’enregistrement de ne pas être tout entier d’une platitude équivalente à celle des questions posées par des journalistes du service public [ndlr : celles émises par leurs confrères salariés des grands groupes industriels étant, faut-il le rappeler, infiniment plus incisives]. Cependant, pour "New You", un peu de recherche sur Internet permet de trouver la reprise faite par les Japonais de Jetman Jet Team, et c'est là que le bât blesse: la version nipponne est plus tout - mieux produite, avec un mur du son qui manque ici cruellement, plus bruitiste, plus captivante, avec un chant plus convaincu… De là à dire que My Bloody Valentine devrait peut-être laisser place aux jeunes et se contenter de vivre de sa légende grâce au live, il n’y a qu’un pas. Il était légitime de ne pas s’attendre à un Loveless bis avec ce successeur, et c’est tout à l’honneur des Irlandais de ne pas s’être simplement reposés sur leurs lauriers et à avoir cherché à changer un tant soit peu leur son.
Mais de là à tomber autant dans la caricature et à presque mériter les critiques de la presse des nineties, pas tendres avec le genre… Autre exemple avec "If I Am": cette tentative d’intégrer un aspect plus psychédélique via des guitares passées par le filtre de la disto, de la reverb puis passées à l’envers (un peu comme un certain "To Here Knows When", tiens donc), malgré une idée de base pas inintéressante bien que largement explorée par les jeunots des courant nu- et blackgaze, pâtit de la faiblesse de la production. Et on reste dans son salon, un peu confus, les cachets à la main, à défaut de se retrouver dans l’espace. À l’image du disque, en fait: les tentatives se multiplient, rarement fructueuses, et laissent sur leur faim tous les fans avides d’expérimentations sonores, et même ceux qui venaient uniquement pour cette pop si particulière. Tout n’est pas à jeter, et les deux morceaux cités plus haut, ainsi que les parties non chantées de "In Another Way" relèvent un tant soit peu le niveau, bien que l’on reste loin, très loin, du miracle. "Wonder 2" réussit même à captiver en proposant à nouveau un titre bruitiste et hypnotique, enfin au niveau minimum de ce qui était attendu.
Bilan des courses: deux morceaux et demi à garder sur une réalisation attendue depuis vingt-deux ans. C’est assez peu, et la hype (ou la complaisance / la posture) autour de cette sortie aura suffi à mettre des œillères à quelques-uns. MBV apporte encore une fois, et malgré l’inexistante nécessité en la matière, la preuve qu’un disque de shoegaze repose avant tout sur les capacités de songwriting avant la décoration à coups de pédales. Gâchis, dites-vous ?