Les Eternels sont fiers de vous présenter leur grand feuilleton de l’Automne :
La Longue Attente
Episode 1 :
C’était dans un studio de l’Angleterre, ou de l’Irlande. De toute façon, personne n’ira chercher ce détail, en dehors de quelques die-hard fans. Un jeune groupe était en train de fourbir des compositions pour un album qu’il prévoyait de sortir. Un jour. Aucune date n’était prévue à ce jour, d’autant plus que ce second album, Isn’t Anything, ne serait en fait qu’une vaste expérimentation de studio, étant à des miles et des miles de préfigurer le troisième. Que pouvait-on dire de cet EP, You Made Me Realise ?
Eh bien, tout d’abord, qu’il commence et est nommé par ce qui reste peut-être LA chanson emblématique du groupe, avec "Soon". "You Made Me Realise" débute sur les chapeaux de roue, avec un riff presque punk délivré par une guitare et une basse ravagées, éclatées à même le sol, explosant dans un bourdonnement insupportable pour les oreilles néophytes, avant que les douces harmonies vocales du duo Shields/Butcher ne viennent adoucir ceci. La meilleure image qui me viendrait pour résumer ce premier morceau est un oursin qu’on aurait nappé d’une généreuse couche de miel. Ainsi que dit plus haut, ce titre est emblématique, pour la bonne raison qu’il sert de rappel au groupe depuis son écriture. Et le passage central, un tourbillon de distorsion et de bruit blanc destructeur de tympans, est en général prolongé pendant une durée allant de cinq minutes à la demi-heure, méritant alors bien son surnom d’ « holocauste », et causant en général une dose conséquente de bouchages d’oreilles, avec ses 120-130 décibels bien assumés.
My Bloody Valentine démontre donc qu’il est avant tout un groupe qui joue sur le son, mais le refrain de ce premier morceau, aussi court que jouissif et sujet à la fixation, indique également leur talent en tant qu’écrivains de chansons. Les morceaux suivants sont plus dans la veine que suivra Isn’t Anything, à savoir une pop expérimentale, qui demandera un certain temps d’adaptation aux oreilles vierges. Leur caractère assez monotone (une constante dans le shoegaze, qui fera dire au plus rabat-joie que rien ne bouge) pourra, au choix, vous rebuter, ou vous aider à atteindre un trip, pour peu que vous ayez de quoi faire sous la main. A la rigueur, "Thorn" pourra faire le bonheur des jeunes filles en fleur (n’est-ce pas Marcel ?), en offrant un petit tube de pop indépendante assez classique, agrémenté d’un larsen permanent en fond, qui ne gêne que peu l’écoute. En revanche, les autres auront plus de mal à convaincre les simples amateurs de pop ou dream pop, à l’exemple de "Cigarette In Your Bed", et ses guitares polarisées négativement, qui, en lieu et place de riffs, n’offrent qu’un tapis compact de sonorités, dominées par la nymphe Butcher, sûrement la voix la plus emblématique du shoegaze.
Un premier EP sur la longue route qui conduira à Loveless, qui permet également de préfigurer Isn’t Anything, qui reste définitivement l’énigme de leur discographie. Les morceaux bruitistes convaincront plus ou moins, selon l’état d’esprit, et de corps éventuellement, pour les plus amateurs de substances, au contraire des passages plus purement pop, qui feront systématiquement mouche.