(2008) -
death/thrash barré (à la Meshuggah, quoi) - Label :
Nuclear Blast
Autant prévenir tout de suite: ce n'est pas encore avec ObZen que les Suédois vont mettre de l'eau dans leur vin. (rythme/atonalité)²: la voilà, résumée en une simple équation musicale, cette chose protéïforme, innommable et sortie de nulle part, lancinante et sournoise, qu'est la musique de Meshuggah. On aura beau leur prêter tous les qualificatifs possibles et imaginables, pendant que certains crient au génie et d'autres supplient d'arrêter le massacre, une seule chose est évidente: ils font ce qu'ils veulent. Et fuck les avis des uns et des autres!
Attention: le degré d'appréciation du phénomène dépend aussi de la forme que leur œuvre peut prendre et là, bien entendu, on frise également le casse-tête. Ces derniers temps, la musique du quintet prenait tantôt la forme d'un format court garni d'un unique morceau de vingt-deux minutes (I), mais aussi celle d'un disque dont le contenu, à tiroirs, est au moins aussi barré que le contenant (Catch Thirty-Three). Mais surtout, vous souvenez-vous du titre "Elastic" présent sur Chaosphere? Ce morceau, final incroyable d'une quinzaine de minutes, qui reprenait l'intégralité de l'album, en accéléré, contre toute attente? Hé bien, le parallèle avec ObZen est évident!
En effet, on a fortement l'impression que les Suédois, après une période prolifique en matière d'expérimentations en tout genre (I, Catch 33, le réenregistrement de Nothing), ont voulu ériger une espèce de bilan de leur carrière avec ce nouvel album - faire le point sur leurs capacités, que l'on sait décalées et étranges, pour le moins. Ainsi, ObZen (le jeu de mots est facile à décoder, en totale adéquation avec l'artwork) se met à ressembler, au fil des écoutes, à une synthèse presque parfaite d'un style Meshuggah qui a évolué, de manière assez fine, depuis Destroy/Erase/Improve en 1995.
Le groupe avait annoncé la couleur: ObZen serait un disque plus étriqué, plus conventionnel, mais aussi plus groovy et décomplexé. Ils avaient raison: ce nouvel album est beaucoup plus touffu, moins aéré que Catch Thirty-Three, mais aussi plus « accessible » (toutes proportions gardées, bien entendu), à l'image de "Combustion". Ce parfait morceau d'ouverture, taillé comme beaucoup de ses petits frères sur ce disque pour le live, appuie sur la pédale d'accélérateur pour un festival de riffs et de notes qui semblent partis, cette fois, pour déclencher le mouvement de nuque plutôt qu'un atroce mal de tête. Le morceau groove immanquablement, la technique est une nouvelle fois irréprochable et le morceau, doté d'un son écrasant, voit Thordendal nous gratifier d'un de ces énormes soli de l'espace dont il a le secret à l'aide de sa huit-cordes. Ce n'est que le début de l'album et pourtant, il s'agit déjà là d'une pièce de choix!
La suite de l'album, moins rapide mais tout aussi virulente dans l'expression, va puiser dans les différents registres du groupe: le classique riff de guitare syncopé ("Electric Red") et la polyrythmie écrasante de l'hypnotique "Bleed", tous droits sortis de Chaosphere, la lourdeur extrême des guitares sept-cordes de Nothing (les riffs-pilons sur le final de "Pravus" et sur "ObZen", baffes en pleine poire!) et les parties ambiantes de Catch Thirty-Three sur "Electric Red", "Bleed" et "Dancers to a Discordant System", qui ferme la marche en laissant toutes les portes grandes ouvertes sur l'avenir du groupe. Les meilleurs morceaux de l'album profitent de ces parties aux sonorités étranges, qui désamorcent légèrement la redondance volontaire du style Meshuggah et qui sont autant de respirations idéales, témoins de l'expérience accumulée dans ce domaine sur les deux précédentes réalisations du groupe.
Ne cherchez pas plus loin: les fondamentaux du style sont là – le groupe en profite pour affiner ses composantes et rendre sa musique aussi cérébrale et éprouvante que directe et relativement accessible. Le côté direct des compositions passe d'ailleurs par un son plus organique et moins axé sur la cyclique des guitares mais aussi – et surtout – par le retour des fabuleux plans de batterie de Tomas Haake, pilier indéboulonnable du groupe – on avait senti son absence sur Catch Thirty-Three, où la batterie était programmée. Ce dernier hante les compositions d'ObZen avec une indécente facilité, déroule ses ghost notes jazzy toujours aussi impressionnantes et traverse les cinquante-cinq minutes de ce nouvel album avec une technicité folle.
Maintenant, à l'heure du bilan, c'est plus difficile. En soi, ObZen ne constitue pas une révolution dans la discographie des Suédois. Pas de nouveauté éclatante ni surprise effarante, l'album déroule ce que Meshuggah sait faire de mieux, à l'image de Jens Kidman, dont le chant se fait toujours aussi monolithique et effrayant. Un disque de Meshuggah tel qu'ObZen ne s'appréhende pas facilement: la condition sine qua non étant de l'écouter au casque, au calme, pour mieux s'imprégner de la (non?) ambiance du disque, pour mieux entrer dans le trip musical, aussi singulier qu'éprouvant, proposé par un groupe pointilleux et intègre, mais aussi borné qu'imprévisible.
A vrai dire, on n'en attendait pas moins d'un groupe tel que Meshuggah, mais peut-être aussi un peu plus: bien que réussi et parfaitement calibré, ObZen donne de plus en plus l'impression que le groupe tourne en rond et qu'il ne se démarque plus d'un style que beaucoup d'autres groupes s'approprient désormais avec plus ou moins d'assurance...mais le souhaite-t-il vraiment? Là est la question.