-Konrad...
-Qu'est-ce qu'il y a, Lenny ? Tu vois bien que je suis en train de manger.
-J'ai écouté le dernier Heathen.
-Ah.
-Ouais.
-...
-C'est moche ce que vous avez fait.
-J'avoue. Mais ce n'est pas moi qui ai commencé.
-Quand même, vous qui m'avez appris l'amour du travail bien fait... Ça m'a fait bizarre d'entendre...ça.
-Je comprends.
-Pourquoi ? Pourquoi vous avez fait ça ?
-Le boss voulait du thrash qui défonce dans un esprit old school. Je me suis conformé aux instructions.
-Mais vous avez toujours dit que vous détestiez ces productions sans personnalité ! Vous avez même failli vous faire virer quand vous aviez dit au patron ce que vous pensiez du
dernier Testament.
-Je n'ai pas oublié.
-Alors pourquoi avoir reproduit exactement la même chose avec Heathen pour sa première sortie chez nous ?
-Parce que j'en ai assez de me battre contre des moulins à vent. L'âge d'or du thrash ne reviendra plus.
Vektor m'avait redonné la foi mais s'est révélé un cas isolé. Personne n'a pu suivre.
-Est-ce une raison suffisante pour punir les membres de Heathen, eux qui n'ont jamais eu beaucoup de chance dans leur carrière ? Seulement quatre LP en trente-cinq ans...
-Ils n'étaient pas obligés de persévérer. Surtout qu'ils avaient pratiquement tout dit dès le
premier album.
-Enfin, ce sont tout de même de très bons instrumentistes. Les solistes envoient sacrément et...
-Comme la plupart de leurs collègues ayant émergé de la Bay Area dans les années quatre-vingt. Mais quand les idées n'y sont pas...
-... Vous vous chargez de compenser avec un son costaud dans le but de donner une illusion de puissance.
-Voilà. L'illusion seulement, hein – tu auras remarqué que les guitares sont aussi plates que celles d'
Overkill en 91.
-La batterie est encore plus sèche que sur le
Testament...
-Et le chanteur est moins bon que
Chuck Billy. Et que celui qui vient d'arriver chez
Onslaught. Normal, l'arpète : Heathen, c'est la deuxième division – la 1.5, si on veut être sympa. Je ne peux pas faire de miracle non plus.
-Ok. Je comprends. L'instrumental, là, "A Fine Red Mist", il est pas si mal ?
-Mouais. Dommage qu'il faille se fader une exposition trop longue avant que les gratteux ne lâchent les chevaux. Mais c'est correct.
-J'ai bien aimé aussi le refrain de "The Blight", plus travaillé que les autres.
-Moi aussi. On retrouve fugacement la patte mélodique qui distinguait Heathen de ses concurrents. On a fait le tour des trucs bien, je crois.
-Mais pourquoi tous ces plans éculés, ces passages prévisibles ? Ces séquences mécaniques ?
-Le cahier des charges est strict : t'as pas d'inspi, alors on te fait le même enregistrement qu'aux autres formations qui n'en ont pas non plus. Donc, là, j'ai appliqué la procédure de recyclage des plans thrash US 2000's/ 2010's, option vitesse et tabassage. Au final: rouleau compresseur et zéro surprise. Il paraît que c'est ça le vrai thrash.
-Pfff. N'importe quoi.
-C'est pourtant ce que notre boîte fait croire depuis plus de dix ans. Ça va finir par devenir vrai, à force.
-Alors que Heathen devait en partie sa réputation au fait de ne pas se cantonner à la rapidité....
-En même temps, quand les mecs ralentissent le tempo, ça donne une semi ballade pour insomniaques chroniques. "Shrine of Apathy" qu'ils l'ont appelée - au moins ils sont lucides.
-Bon, on mise tout sur le visuel, alors ?
-Comme d'hab'. C'est celui qui a fait la pochette de
Skyforger d'
Amorphis qui s'en est chargé. Pas un mauvais choix, a priori.
-Joli, bien qu'un peu terne, peut-être.
-Autre chose, gamin ? J'aimerais finir mes Kartoffeln, là, j'ai du taf.
-En quoi ça consiste ? Je pourrai vous aider ?
-À finaliser le prochain Macabre ? Tu tiens vraiment à perdre tes dernières illusions ?
-C'est moche.
-Tu te répètes. Au fait, bon appétit.
-J'ai déjà fini.
-Je ne crois pas, non.
-Mais...
-Fais-moi confiance, tu vas en bouffer encore longtemps des galettes industrielles comme celle-là si tu t'éternises parmi nous.