Liv Kristine en veut et cela se voit. On peut presque parler actuellement de renaissance artistique, pour celle qui a été le pilier d'un des plus grands groupes de metal gothique, à savoir Theatre Of Tragedy. Maintenant qu'ils ne sont plus que l'ombre d'eux mêmes, Liv Kristine enfonce le clou qu'elle avait déjà commencé à manier avec Lovelorn, le premier album de son nouveau groupe, SON groupe, rien qu'à elle: Leaves' Eyes, formé avec les membres d'Atrocity. Lovelorn en avait surpris plus d'un, moi y compris, se révélant être un excellent album au final, mélodique, enjoué, positif et entêtant. Autant dire que lorsqu'elle a annoncé qu'un nouvel album allait déjà sortir presqu'un an jour pour jour après Lovelorn, j'ai sauté au plafond...
Pas de grosse surprise avec Vinland Saga, on pourrait plutôt parler d'évolution naturelle, tant cet album rassemble ce que Liv sait faire de mieux, l'expérience et la réflexion en plus. Mais cette chro sur Vinland Saga ne serait rien sans quelques petites informations au préalable sur le mot «vinland» : cet album est en fait un concept-album sur l'histoire de la région scandinave qui regroupe la Norvège et le Groënland. Liv Kristine est très attachée à ses racines, ce qui n'est pas nouveau (le magnifique morceau "Norwegian Lovesong" sur Lovelorn en est un hymne parfait). "Vinland Saga" tourne autour de cette histoire riche en péripéties, ce qui fait que cet album, bien qu'il conserve des racines très "livkristiniennes", confine souvent à l'épique. D'ailleurs, le groupe s'est entouré d'un orchestre, coupable des éléments symphoniques bien sentis qui parsèment subtilement cet album.
Débutant d'une façon assez étrange par un de ces morceaux épiques, sans guitares mais avec l'orchestre et des choeurs du plus bel effet ("Vinland Saga"), l'opener déroute autant qu'il montre une réelle volonté de la part du groupe de faire évoluer sa musique. Sans sonner grandiloquent comme Nightwish (aucune comparaison possible à ce titre, tant l'ambiance dépeinte est différente: ce n'est pas Hollywood, ici), ce morceau préfigure le mélange metal/folk/symphonique des morceaux qui vont suivre. A ce titre, "Farewell Proud Men", en dépit d'un titre un peu cliché, impressionne réellement pour un morceau heavy, dont les éléments symphoniques confient au sublime (les choeurs, la basse, la chant de Liv). Suit "Elegy", le premier single de l'album, ma foi fort bien choisi, quoique plus accessible. Mais les signatures de guitares créent une ambiance et un refrain magnifique. En trois morceaux, le groupe emmené par Liv Kristine vient de montrer toute l'étendue de son talent d'écriture, pour un résultat unique et original, la magnifique ambiance de sérénité est d'ailleurs toujours de la partie.
Vinland Saga alterne à nouveau morceaux lourds et épiques, ("Solemn Sea", où Alexander Krull vient hurler quelques couplets et où Liv déclame des lignes de chant absolument enchanteresses, "The Thorn", "Twilight Sun") et morceaux plus intimistes ("Leaves' Eyes", l'enchaînement "Misseri"/"Ahmran - Song Of The Winds"). Une formule déjà pressée jusqu'à la moëlle, mais qui bizarrement fait ici son petit effet. Liv Kristine, au risque de me répéter, c'est juste une des plus belles voix du metal, point barre. Son timbre clair et limpide fait mouche sur les morceaux qui font la part belle aux lignes de chant ("Amhran", "Misseri", "Mourning Tree", soit trois ballades folk gracieuses et classieuses sur trois, carton plein), sans pour autant dépareiller sur les morceaux plus clairement heavy, plus disparates sur cet album, ce qui pourrait en décevoir plus d'un.
Par conséquent, l'évolution de ce disque vient de la disparition très progressive du chant duel Krull/Kristine et d'une tonalité générale beaucoup moins connotée metal. En ce sens, ceux qui souhaitaient un Lovelorn-bis se foutent le doigt dans l'oeil... Pas trop loin quand même, mais le groupe laisse éclater ses racines nordiques avec aisance et simplicité, allant jusqu'au bout du concept qu'ils traitent, sans pour autant en détourner les règles. L'ensemble est donc plus soft, tout en diluant cet aspect sirupeux qui seyait si bien à Lovelorn, pour un résultat qui n'est pas un chef d'oeuvre, mais qui est tout simplement un très bon album, qui tournera régulièrement dans mes platines.
Bref, Leaves' Eyes vient, à l'aide de ce Vinland Saga plus juste, moins direct, de me réconcilier avec le metal à chant féminin, LE VRAI. Leaves' Eyes figure maintenant en bonne place parmi les groupes les plus rafraîchissants de ce genre totalement méprisé aujourd'hui. Mais bienheureux seront ceux qui oseront goûter à ce groupe, qui mine de rien, est en train de devenir le nouveau Theatre Of Tragedy de Liv Kristine... On espère juste que le marketing inhérent à ce style ne deviendra pas par la suite l'unique motivation de ce groupe réellement talentueux (et ça, j'en doute). Mais tant pis: Liv, on t'aime!