1996. Marilyn Manson lâche à la face du monde Antichrist Superstar, véritable petite bombe nucléaire qui le propulsera au rang de superstar, justement. Tout a été dit et écrit sur cet album, tout le monde a son avis. Si vous ne le connaissez pas, ne perdez pas de temps et foncez l’écouter pour votre culture musicale personnelle. À album mythique, chronique spéciale et ambitieuse, un peu plus longue que la normale. Mais il fallait au moins ça pour décortiquer Antichrist Superstar !
Antichrist Superstar est sans nul doute l’un des albums à l’atmosphère la plus malsaine du rock, toutes catégories confondues. Manson a réussi le défi de composer un métal à l'inspiration indus à la fois glauque et directe, voire même groovy à l’image du méga-hit "The Beautiful People". Plus encore : une musique qui sait rassembler autour d’elle l’adolescent en pleine crise d’identité et l’amateur de métal de longue date. Mais quand on y regarde de plus près, cet album est la preuve incontestable que Marilyn Manson est bien plus intelligent que le personnage torturé, provocant et maquillé que l’on veut nous vendre. En effet, Antichrist Superstar est un véritable album-concept découpé en trois cycles, dont les paroles obscures et controversées, emplies de symbolisme et méticuleusement mises en scène, nous content la naissance et la mort de l’Antéchrist dans l’Amérique puritaine bien pensante contemporaine. Pour comprendre la musique de Antichrist Superstar et l’apprécier, il est essentiel d’en comprendre son sens et sa signification.
Premier Cycle : The Heirophant
Dans le jeu de Tarot, le "Heirophant" est un prêtre qui prédit l’avenir. Le premier cycle décrit la venue au monde de Brian Warner (Brian Warner est le vrai nom de Manson) et les évènements qui vont le conduire à devenir Marilyn Manson, et annonce l’arrivée future de l’Antéchrist. Cette mise au monde n'est pas sans douleur : l'album débute ainsi avec un titre explosif, "Irresponsible Hate Anthem", qui comporte l'un des meilleurs riffs de toute la carrière de Manson. Le chant est hurlé, écorché comme jamais, comme seul Manson sait le faire. Symbole intéressant à noter : sur le livret, il est indiqué que ce titre a été enregistré en live le 14/02/1997, soit plusieurs mois après la sortie de l’album. Durant ce cycle, c’est Brian Warner, l’homme haineux et apeuré, et non pas Manson, la star, qui nous confie ses sentiments et sa vision du monde et de l’Amérique en particulier ("The Beautiful People" avec sa rythmique et ses claviers ô combien célèbres) sur une musique où, en fin de compte, c'est le chant qui est le plus brutal et violent.
La chanson "Tourniquet", s’ouvrant sur une phrase murmurée à l’envers « This is my most vulnerable moment », est l’occasion pour lui de revenir sur l’avortement qu’a subi sa petite-amie de l’époque peu avant le début de l’enregistrement de l’album. La guitare est en retrait pour laisse placer à une basse plus présente que jamais. L'atmosphère y est lourde et poisseuse. Manson n'arrivera plus jamais à faire passer autant de sentiments que sur ce titre, où les couplets sont chantés/murmurés et les refrains hurlés, tout en restant très mélodiques. Pour la petite histoire, c’est d’ailleurs suite à cet avortement que Manson décide d’arrêter les drogues et les orgies pour réellement pouvoir se consacrer à Antichrist Superstar. L’excès néfaste de drogues est d'ailleurs le thème de "Dried Up, Tied and Dead to the World" (« I’ll be tomorrow, I’m anything when I’m high »), titre étouffant et hypnotiseur, à l'image de ses samples d'introduction et de son chant saturé.
Deuxième Cycle : Inauguration of the Worm
Manson fait référence tout le long de cet album à la pensée du philosophe Nietzsche, à travers les concepts de ver et de surhomme. Brian Warner, le ver nu et impuissant, va progressivement se transformer sur fond de riffs violents et rapides, et de batterie tonitruante ("Little Horn") pour finalement devenir Marilyn Manson, l’ange déchu (« The angel has spread its wings, the time has come for bitter things ») s'élevant lentement et sereinement, à l'instar du rythme de "Cryptorchid". À partir de ce titre apparaissent les différentes voix de Manson (l'enfant, le ver, l'ange, l'antéchrist, ...) que l'on entendra tout le long de l'album. Le corps de l'ange est déformé, presque inhumain ("Deformography"). Le rythme s'accélère, l'atmosphère s'assombrit, les riffs de guitare reprennent de plus belle à mesure que l'ange prend conscience de son corps et de son pouvoir, avant de le crier au monde : « I'm such a dirty rockstar ! ». Puis vient le succès et ses vices : l’ange devient une rockstar plongée dans le péché ("Wormboy" avec sa batterie martiale et son break surréaliste et malsain au possible), incomprise au milieu des fans dont la vénération aveugle et irréfléchie les conduit à un comportement bestial et destructeur ("Mister Superstar").
Puis arrive "Angel with the Scabbed Wings" avec un des refrains les plus efficaces de l'album, au rythme martial à souhait. Un cycle torturé et douloureux pour Manson la Rockstar, où les gros riffs gras de guitares et la batterie se font bien plus présents, au côté des différents types de chant de Manson (aigu et tranchant, grave et menaçant) et des nombreux samples glauques, mettant hélas au second plan basse et claviers. Le cycle se termine par "Kinderfeld" aux paroles obscures sous forme de dialogue où Manson évoque le traumatisme qu’il a vécu enfant lorsqu’il surprend son grand-père en train de se masturber dans la cave en sous-vêtements féminins devant des scènes pornos choquantes avec pour fond sonore un train électrique pour couvrir ses gémissements (« When he turns the trains on… »). L'atmosphère est lourde, on y entend une flûte dissonante au possible, la modulation de la voix de Manson est dérangeante tout comme la montée en puissance de la fin du morceau, annonciatrice de l'arrivée du dernier cycle.
Troisième Cycle : Disintegrator Rising
Disintegrator est le nom que Manson se donne au stade final de sa transformation. La réminiscence de son traumatisme d’enfant est à l’origine de ce troisième et dernier cycle au début duquel Manson la Rockstar devient le surhomme décrit par Nietszche, qu’il nomme l’Antéchrist. Ton moralisateur, phrasé martial, guitare apocalyptique, claviers impérieux, rythmique imparable : Manson est sûr de lui, serein, sa colère est maîtrisée et il livre sur "Antichrist Superstar" son discours à une foule déchaînée. Manson a maintenant le contrôle total de son existence, s’est libéré de l’éducation bien pensante empreinte de religion qu’il a reçue dans sa jeunesse et jette à la face de l’Amérique sa puissance dans le titre le plus violent et brute de l'album : "1996". Le riff est simple, le chant empli de violence, tout explose lors d'un refrain qui fera chanter des milliers et des milliers de personnes lors des concerts. Mais accablé de douleurs et de contradictions (« Anti song and anti me, I don’t deserve a chance to be »), il finit par craquer sur "The Minute of Decay", avec son chant intimiste et murmuré, sa basse hypnotisante et une guitare menaçante. L'atmosphère est calme mais on sent que le répit est de courte durée et que tout peut chuter dans une violence sans nom d'une minute à l'autre, ce qui arrivera au cours de la chanson suivante.
Manson est devenu son propre Dieu et s’est accompli musicalement et spirituellement ("The Reflecting God", une des chansons aux paroles les plus obscures et controversées). Le cycle se conclut par "Man That you Fear", chanson calme empreinte d’une certaine sérénité, où est contée la mise à mort de l’Antéchrist par l’Église Chrétienne sur fond de claviers calmes et mélodiques, de batterie rebondissante. Le chant est intimiste, empreint d'une légère mélancolie. Un accord silencieux accompagne Manson tout le long du chemin qui le mène à sa perte inévitable. Le titre se termine sur de longs samples dissonants. Le silence, enfin. Un long silence... Puis des voix métalliques (des anges ?) viennent annoncer la renaissance de l’Antéchrist, sur fond de messages subliminaux (« Join the satanic army » entre 1:11 et 1:15). Le cercle se referme, les cycles peuvent recommencer.
Antichrist Superstar est un chef d’œuvre de symbolisme, une œuvre profonde et intelligemment bâtie. Chacun peut interpréter ses paroles obscures à sa façon, selon son vécu personnel et ses souffrances. Cet album est né du chaos et dans la douleur, Manson y déverse tout ce qu’il a sur le cœur, tout ce qui fait de lui ce qu’il est, toutes ses peurs. Je vous invite à visionner les clips qui reproduisent à merveille l'ambiance malsaine de l'album, mais également à lire la biographie de M. Manson ainsi que les interprétations beaucoup plus poussées que l’on peut trouver sur Internet. Vous n’en profiterez que plus grandement.