Après deux albums qui restent comme ses chef-d’œuvres personnels, on se trouvait en droit de se demander ce que Manson allait pouvoir nous offrir pour marquer son entrée dans le nouveau millénaire. Il convient de signaler que l’arrivée de John 5 dans le groupe n’aura pas manqué de participer à la réussite que fut Mechanical Animals. Alors ? Après le noir total et après les paillettes, qu’est-ce qui pouvait bien nous attendre ?
"Godeatgod", et la pochette, renvoyant à Antichrist Superstar donnent le ton : Manson est de retour à un pessimisme bien assumé. Au menu, pas mal de « No Future », donc. La fin du monde annoncée pour l’an 2000 n’est pas venue, du coup, le bonhomme en profite pour taper sur ses cibles préférées, à savoir la société Américaine puritaine, à qui est évidemment destinée cette "Love Song", qui ressemble à tout sauf une ballade ; et la chrétienté, ce pour quoi le visionnage de quelques clips vous aidera. Sans parler de la tournée, où le costume de pape, et la croix faite de fusil ne seront que quelques exemples des références satiriques qui y seront faites. Avec cette œuvre marquant la fin du cycle commencé avec Antichrist, la saturation sale et les guitares érigées comme tant de pavés à lancer en signe de protestation sont de retour. Seulement, In The Shadow Of The Valley Of Death est en fait… le début. Holy Wood est en fait une vallée peuplée de gens riches et célèbres (les « Beautiful People » ?) en opposition à la Vallée de la Mort où s’entassent les déchets de l’humanité, les « Nobodies », et Mercury l’un d’entre eux, mène une rébellion contre lesdits « Beautiful People ».
Mais au fur-et-à mesure de son combat, les médias modifient l’image de son geste, et la déforment négativement, ce qui le pousse au suicide. Il revient au final sous la forme d’Oméga, extraterrestre androgyne, qui sera lui aussi récupéré par les médias, qui en feront une star, et le lanceront dans un véritable « Dope Show », qui le poussera encore une fois au bord du gouffre, jusque dans un coma blanc dont il ne pourra se tirer. C’est alors que l’individu connu comme « le ver » d’Antichrist Superstar apparaît, rebut de ces deux échecs cuisant. D’où un nihilisme assumé, qui le poussera à vouloir, dans la troisième partie, tout détruire, en tant que désintégrateur, et qui peut interroger sur la familiarité qui semble s’exhaler de "Man That You Fear", comme si le personnage était connu de ses lapidateurs... Et qui peut aussi pousser à se demander si la boucle que constitue Antichrist Superstar et sa 99ème piste qui finit sur la première est limitée au seul album, ou si tout le tryptique entier n’est pas au final qu’un cycle d’Eternels Retours…
Malgré toutes ces interrogations, la direction musicale n’a pas tellement changé, et durant la grosse heure que dure Holy Wood, le style oscille entre metal et rock alternatif, avec quelques ballades bien troussées, qui siéent à merveille à la voix de l’ex-roi de la neige qui fait planer. Du coup, la simplicité musicale est toujours de mise, et les tubes sont légion ; prenez seulement les trois titres suivant "Godeatgod". On remarquera d’ailleurs que les autoréférences sont légions : le rythme de "Disposable Teens", à base de palm-mute ne vous rappelle pas un certain "The Beautiful People" ? Les ballades, teintées du côté pessimiste et presque post-apocalyptique, ne rappellent-elles pas "Man That You Fear", cette clôture si particulière au monument de crasse de 1996 ? Même "The Nobodies" peut épisodiquement renvoyer à "Tourniquet". Bref, au vu de la mise en abyme précédente, cette familiarité peut sembler être un but, afin de participer encore à cette impression de continuité.
Toutefois, si Holy Wood a une première partie qui se passe rapidement, et presque en fanfare dans cette procession pessimiste, la fin n’est pas du même tenant, et certains titres sont dispensables… "The Fall Of Adam" ou le duo "Born Again/Burning Flag", dont l’une est juste prétexte à reprendre le riff de "The Beautiful People" et à en faire un remix. Plutôt dispensable, vous en conviendrez. Du coup, "Coma Black" peut avoir tendance à se faire attendre, et il pourra sembler inutile de rester après, soit jusqu’au suicide de Mercury, que la roulette russe musicale "Count To Six And Die" modélise intelligemment, du fait du remplissage de fin de disque, fortement dommageable au vu de ce qui avait été servi avant. Ce n’est pas non plus horrible, mais pfouah, quelle différence, puisque ces derniers titres tapent dans les fonds de tiroir et le syndical, bien avant que Manson ne soit plus capable que d’albums chiants et plats.
Donc, la fin du début le fait souffrir en étant un bourrelet un peu inutile. Dat métaphore digne de Frédéric… Amputé de cette petite boursouflure, Holy Wood aurait été l’égal de ses « prédécesseurs-successeurs » (oui, ça devient compliqué) et c’est regrettable. Si Antichrist Superstar représentait la colère découlant des échecs successifs, et Mechanical la lumière illusoire que pouvait donner l’influence tout aussi illusoire du star-system, Holy Wood, lui, incarne la dépression et le renoncement succédant à la détermination originelle, et boucle ainsi la boucle. Une boucle qui reste toujours sujette à l’interprétation…