Lassé des fonds marins, le capitaine a regagné la terre ferme. Aujourd’hui, plus que jamais, il regrette le temps de son exil. Il a pourtant essayé d’y voir clair, de proposer son point de vue, toujours avec cette singulière délicatesse qui le rendait attachant aux yeux de beaucoup. Mais rien n’a changé ; la haine, la peur, l’orgueil, ces sentiments qui aliènent les hommes et éclatent les peuples n’ont pas disparu pour autant. Le capitaine s’est décidé : il est temps pour lui aussi de prendre les armes. Et de muscler son jeu.
Sombre, emporté, parfois rageur : tel sera le nouveau Nemo. La pochette annonce la couleur, et il suffit de quelques mesures de "LDI" pour s’assurer que Barbares va cogner plus durement que son prédécesseur. Atténuons la surprise : on les savait capables de pondre des riffs saignants et de faire chauffer les toms à l’occasion, n’empêche que nous sommes très proches d’un virage metal sur une bonne moitié des titres. Breaks syncopés ("LDI"), intros carnassières ("19:59"), thématiques lugubres (la violence étalée dans les JT, le renoncement, la lâcheté… les titres sont assez éloquents) et le gros son qui va avec, la différence la plus nette par rapport à ce que l’on pouvait entendre dans Si – Partie II, bien qu’il s’agisse de la même équipe.
Clarté sonore et puissance iront donc de concert cette fois, à l’exception de JP dont la voix est souvent sous-mixée. Ça peut s’expliquer : là où sa guitare et ses compagnons ont gagné quelques décibels, lui a conservé son chant frêle et sensible qui reste une des caractéristiques de Nemo, qu’on y trouve son compte ou non. C’est selon moi une bonne chose – et de toute manière on le voyait mal se mettre à growler – et ça sert souvent son propos, mais encore faut-il pouvoir le déchiffrer dans la masse sonore… Pas toujours évident, et bien dommage quand on se souvient de la qualité des textes du précédent album. Une écoute attentive révèle qu’on n’a pas trop perdu de ce côté-là, malgré quelques lieux communs regrettables (« Tôt ou tard / Il faudra trouver ce qui de la bête nous sépare », mouais…)
Qu’importe, le son y est, l’habileté et la confiance des musiciens également, donc ce sera meilleur encore que Si – Partie II, non ? Sauf que… Nemo n’a pas vraiment changé sa manière de composer. Ou disons qu’ils diluent plus qu’auparavant : vous ne trouverez rien ayant l’immédiateté des "Enfants-Rois" ou d’"Une question de prix". Les longs développements instrumentaux, ces semi-jams qui faisaient le bonheur de "Reflets" ou "Même peau même destin", sont cette fois omniprésents et finissent par nous paraître redondants. D’autant plus qu’ils rallongent considérablement des morceaux qui n’avaient pas besoin de ça, le rythme général étant assez paresseux. Pour être plus clair, entre "LDI" et la pièce-titre, se succèdent quatre morceaux au tempo allant de « lent-moyen » à « ultra-lent » : une demi-heure qui paraîtra bien monotone à celui qui ne prendra pas le temps de percer la carapace.
Et même après s’être accroché, tout n’est pas rose : malgré une entrée en matière corsée, "19:59" ne maintient pas la tension, faute d’un refrain accrocheur. "Le film de ma vie" n’a que son break jazzy délicieux pour la sauver du statut de ballade quelconque, et si "Faux semblants" annonce un sursaut de vitalité dans sa première partie, elle pêche ensuite par une outro bien trop longue. Reste l’excellente "Armée des ombres", blues de fin du monde où JP se lâche, mène la danse et ose le falsetto sur un plan lyrique qui rappelle Muse dans ses instants les plus pompeux… mais ça fonctionne, et pas qu'un peu ! Quant à "Barbares" et ses sept (!) parties, elles regroupent en un seul bloc les hauts et les bas de ce disque moins généreux qu’il n’y paraît : la sincérité du propos, un groupe gonflé à bloc, des sections éparses qui font mouche, mais aussi des thèmes récurrents peu accrocheurs et beaucoup, beaucoup de longueurs…
Impossible d’aborder Barbares à la légère. Même si la prod est au rendez-vous, les textes, l’atmosphère et l’uniformité apparente imposent une attention constante sous peine de passer à côté de ses instants « charmants » - façon de parler – qui en font le sel. Mais le plaisir qu’on peut en retirer vaut-il les mornes plaines qu’il faudra traverser pour y accéder ? Dans un bon jour, certainement. Autrement, je n’en suis pas convaincu.