At The Gates l’avait promis lors du communiqué qui mettait un terme définitif à sa tournée de reformation en 2008 et tuait dans le même temps les rumeurs dans l’œuf : non, il n’y aura pas de nouvel album du groupe, cette reformation n’était qu’éphémère. Par contre un DVD sortira pour immortaliser l’aventure. Voici donc enfin ce fameux DVD testament tant attendu, qui sort plus d’un an et demi après le dernier concert des Suédois. At The Gates n’aura donc repris vie que lors de cet été 2008 inoubliable pour les fans et aujourd’hui gravé pour l’éternité sur ce triple DVD à la hauteur de la légende.
Le premier DVD, pièce maitresse du coffret, s’intitule Under A Serpent Sun - The Story of At The Gates et en est le gros morceau. Comme son nom l’indique ce documentaire de plus de deux heures retrace avec minutie toute l’histoire du groupe. Anders Björler n’a eu de cesse de travailler sur ce qui restera comme la dernière sortie de son premier groupe. Réalisant un véritable travail de fourmi, le guitariste, qui en a profité pour monter sa propre boite de production vidéo (logiquement nommée At The Gates Production), a d’abord lancé un appel aux fans afin de récolter le plus de films d’archive possible, couvrant toute la carrière du groupe. Le résultat est à la hauteur du travail effectué et va certainement faire date dans l’histoire des rockumentaires metal. Alternant interviews actuelles de tous les membres passé ou présent d’At The Gates avec de très nombreuses images d’archives et des retours ponctuels sur la tournée de reformation, Under A Serpent Sun nous replonge aux racines du death metal Suédois au tout début des années 90 et s’achève après la tournée de Slaughter Of The Soul en 1996 et la séparation du groupe. Tout a été filmé, notamment par Svenson qui possédait un caméscope, chose rare à l’époque. On suit ainsi le groupe de très près lors de ses premières répétitions, des premiers concerts, de l’enregistrement de chaque album, lors de tournées toutes plus galère les unes que les autres, avec nombre d’anecdotes hilarantes ou désespérantes selon le point de vue (l’accident de mini van !).
C’est l’occasion de se rendre compte une bonne fois pour toute qu’At The Gates n’a jamais été un groupe majeur de son vivant. Aujourd’hui avec le recul et l’influence indélébile qu’a laissé un album comme Slaughter Of The Soul voire, ne nous en cachons pas, une certaine part de nostalgie pour un groupe qui n’existe plus, on a tendance à penser que les Suédois ont toujours été un groupe majeur de la scène death. C’était loin d’être le cas, At The Gates n’est jamais sorti de l’underground. On réalise aussi qu’Alf Svenson était clairement le leader du groupe tant qu’il était présent. Plus âgé, plus expérimenté, possédant un sens de la composition très développé et assez particulier, c’est lui qui mène la baraque jusqu’à son départ. A partir de Terminal Spirit Disease (qui était supposé être un EP) et l’arrivée du discret voire effacé Martin Larsson, les jumeaux Björler prennent le pouvoir et on assiste presque à la naissance d’un nouveau groupe, tant le style musical est bouleversé. Le générique de fin prend des airs de « que sont-ils devenus ? » et retrace le parcours de chacun depuis la séparation. Björler a réussi son coup en réalisant un véritable film parfaitement construit, avec un fil conducteur narratif clair, en allant au bout des choses, ne donnant pas ainsi la désagréable sensation de survoler son sujet que l’on retrouve trop souvent dans les reportages et documentaires de ce type. Le résultat est bien sûr absolument passionnant pour les fans du groupe, mais pourra concerner quiconque s’intéresse de près ou de loin à la vie d’un groupe de rock, avec toutes les difficultés, les joies et les peines que cela comporte.
«Twelve years... Thank you for waiting. Thank you for remembering». C’est par ces mots lourds de sens que Tomas Lindberg s’adresse à la foule du festival de Wacken le samedi 2 aout 2008, lors d’un concert qui s’avère être l’un des sommets de la tournée de reformation et que l’on retrouve sur le deuxième disque : Purgatory Unleashed - Live at Wacken 2008, filmé de manière extrêmement professionnelle. Pas vraiment de surprise, d’originalité ou de parti pris artistique dans la réalisation, contrairement au DVD de Dark Tranquillity à Milan par exemple, mais une excellente retranscription de la prestation du groupe. Tompa est à l’honneur, le chanteur étant assez déchainé tant vocalement (quelle leçon de chant death intense et passionné!) que physiquement, arpentant l’immense scène en long et en large. Ses camarades de jeu sont moins remuants mais pour la plupart à fond dedans, headbangant furieusement même s’ils ne se déplacent que très peu. On entraperçoit même Jonas Björler esquisser un sourire fugace vers la fin du concert ! Le son est mixé par Tue Madsen, lui donnant ainsi une puissance et une clarté qui flattent l’oreille, mais la prise est très brute et ne trahit pas l’aspect naturel du concert. La prestation du groupe n’a pas été retouchée en studio, on sent un feeling légèrement différent des versions studio, moins chirurgical, plus vivant. Bref c’est du vrai live.
Quant à la setlist, que dire ? C’est un sans faute. Comme le rappelle Tompa pendant le concert, le groupe a mis un point d’honneur à interpréter des titres issus de chacune de ses sorties. Tous les albums sont donc représentés, même le tout premier EP Gardens Of Grief. C’est l’occasion de redécouvrir dans de bonnes conditions certains titres présents sur les premiers albums dont le son très artisanal ne permet pas de les apprécier à leur juste valeur. "Raped by the Light of Christ", "Windows", "The Burning Darkness" ou encore "Kingdom Gone" qui clôt le concert sont ainsi remis au gout du jour, et l’on se rend mieux compte de la qualité de ces titres forgés dans un death metal alambiqué voire chaotique, violent mais mélodique. Mais ce sont bien Slaughter Of The Soul et dans une moindre mesure Terminal Spirit Disease qui se taillent la part du lion. L’album culte est d’ailleurs joué en entier, de son title track qui ouvre les hostilités jusqu’à une doublette "Blinded By Fear" - "Suicide Nation" définitive en rappel en passant par tant de grands moments en studio qui prennent enfin vie sur les planches. Le public allemand ne s’y trompe pas et réserve un accueil digne des plus grandes têtes d’affiche aux Suédois qui n’en reviennent pas, eux qui n’avaient jamais joué devant plus de quelques centaines de spectateurs avant leur séparation. Le groupe ne remontera plus jamais sur scène, heureusement il existe aujourd’hui une trace de ce qu’était At The Gates en concert. A noter que ce show déjà culte sort également en CD sous le titre Purgatory Unleashed.
Enfin, le troisième DVD doit être considéré comme un disque bonus d’après Aders Björler. Only The Dead Are Smiling est pourtant loin d’être anecdotique. Copieuse collection d’archives live regroupant pas loin d’une trentaine de titres enregistrés à travers le monde à diverses époques de la « carrière » du groupe, le guitariste a fait appel aux fans et aux collectionneurs afin de réunir de quoi proposer l’ensemble le plus complet et représentatif possible. La plupart des morceaux sont tirés soit de la tournée de reformation, soit de la tournée américaine de Slaughter Of The Soul en 1996. On trouve dans le désordre des prestations lors de festivals en Finlande ou en Belgique, mais aussi les premiers concerts du groupe au Japon, une date hallucinante à New York où le public couvre littéralement Lindberg sur "Slaughter Of The Soul", et la toute dernière date de la tournée à Athènes qui donnent une autre vision plus intime de la tournée 2008, en salle, et qui côtoient donc des moments pris sur le vif douze ans plus tôt. Filmés avec les moyens du bord de l’époque, ces titres vintage font passer une belle impression de violence et de folie underground. Le Tompa de l’époque est particulièrement impressionnant avec sa barbe et ses longues dreadlocks rousses. On a même droit à trois titres encore plus vieux filmés en 1991 en Suède directement depuis la scène, seul témoignage du line up avec Alf Svensson. Culte !
Vous l’aurez compris avec cette chronique dithyrambique et beaucoup trop longue qui est à l’image de ce cadeau extrêmement copieux qu’At The Gates fait à ses fans: on tient là un coffret DVD absolument incontournable. Anders Björler s’en est toujours un peu voulu d’avoir quitté le groupe si brutalement en 1996, comme s’il devait à tout le monde d’offrir à At The Gates la véritable sortie triomphale avec les honneurs à laquelle le groupe n’avait pas eu droit à l’époque. C’est désormais chose faite, le guitariste s’est bien rattrapé avec ce qui est tout simplement le plus beau des testaments qu’un groupe peut offrir.