Imaginez : votre illustre carrière de critique culinaire se brise et vous voila remisé aux plus basses besognes de la profession. Imaginez, par exemple, que l’on vous demande de rédiger une critique argumenté sur un fast food bien connu où rôdent de terrifiants clowns mangeurs de bambins. Pari est pris que très vite, vous aurez l’impression de vous répéter, et qu’au bout de trois ou quatre articles, vous finirez par avoir envie de hurler à la face du monde que «putain, mais un Bigmac, c’est rien qu’un Bigmac et j’ai rien d’autre à dire, merde !». Bienvenue dans le monde de la répétition, de la tradition et – parfois – de la nausée.
Et donc, voici le nouvel album de Grave. Oui. Voila, voila. Oui, c’est toujours du death metal old-school, comme le groupe en faisait déjà au début des années 90, cette belle époque où tout restait à écrire et où chaque groupe ou presque pouvait se vanter de s’incruster dans un créneau non encore occupé. Mais le temps passe, et en 2010, de nouveaux mouvements ont vu le jour, quand d’autre ont finis par disparaitre, bien souvent étouffés dans leurs propres déjections. Mais pas Grave. Non, Grave s’en moque, des nouveaux mouvements : Grave est investi d’une mission, qu’il prend on ne peut plus à cœur. Tandis que nos jeunes se fourvoient dans le néo-métal, le HxC et toutes ces nouvelles tendances perverses, Grave est là pour rappeler à la face du monde qu’il y a encore pas si longtemps que ça (quoique...), on pouvait faire du death avec un son tout pourri, deux riffs médiocres et des paroles insipides (et bien sur l'inévitable pochette mochissime). Ça ne veut pas dire que c'était alors de la bonne musique, mais ça trouvait facilement son public.
Partant de cette réflexion, on ne peut que s’incliner devant la persévérance et le jusqu’au-boutisme des Suédois, qui inlassablement répètent leur leçon aux jeunes générations qui s’obstinent à leur faire la sourde oreille. Pour autant, cela n’oblige personne à s’extasier devant leurs albums, qu’ils sortent depuis leur reformation en 2002 au rythme tranquille d’un tous les deux ans, avec une constance tout à fait compatible avec celle de leur musique. Aucune originalité, une production vieillotte là aussi en raccord avec l’esprit du groupe et des compositions génériques toujours aussi peu convaincantes. L’amateur de death se réjouira tout de même sur deux ou trois titres ("Dismembered Mind" et son break mélodique, les cloches morbides à la fin de "Burial Ground" ou le riff de "Sexual Mutilation" qui rappellerait presque les premiers morceaux de Death – oui, dans les années 80), mais c’est vraiment trop peu pour pousser à un allègement de vos économies. «Peu importe», répondrait sans doute Grave, investi par sa croisade sonore. Mais bon, même si les Bigmacs étaient gratuit, vous en mangeriez à chaque repas, vous ?
Grave en 2010 fait presque figure d’anachronisme. Et ça n’est pas avec un album comme Burial Ground que la chose va changer. Mou du genou, peu inspiré, répétitif et mal dégrossi, il n’y a vraiment que peu d’arguments en sa faveur. Seuls les die-hard fans de death old-school se sentiront peut-être vaguement attirés par cet album, qui les rassasiera sans doute une semaine avant que la lassitude ne s’empare d’eux aussi.