2005 : Accept remet le couvert au grand complet pour une tournée des festivals unanimement saluée. Les fans rêvent alors d'un nouvel album, histoire que la légende dispose d'une épitaphe plus glorieuse que le très controversé Predator (pour être poli). Las ! Refus d'Udo, qui préfère donner la priorité à sa carrière solo. Fin de l'aventure ? Non, simple contretemps : après avoir déniché, apparemment par hasard, leur nouveau chanteur, Accept revient enfin avec son 12ème album sous le bras, prêt à affronter le scepticisme d'une grande partie de ses fans pour qui le groupe n'a pas la même saveur sans Udo.
Accept avait grandement terni son image en essayant de sonner dans le coup (Death Row en 1994) ou en expérimentant à tout va (Predator en 1996). Cette fois, Hoffmann et Baltes ont clairement choisi de limiter les risques en revenant aux racines qui ont fait la gloire du groupe au début des années 80 : du heavy et rien que du heavy, carré, massif, puissant, implacable. Les mauvaises langues y verront sans doute une nouvelle occasion de râler, en stigmatisant un manque d'ambition ou une solution de facilité en capitalisant sur le passé ; on pourrait tout autant saluer la lucidité d'un groupe qui, après avoir tenté différentes choses, a choisi de revenir à ce qu'il sait faire de mieux. Le choix du nouveau chanteur s'inscrit lui aussi dans cette même logique : Mark Tornillo n'est pas là pour donner une nouvelle impulsion, comme le symbolisa jadis le choix de David Reece, mais bien pour incarner le retour aux sources. Les premiers extraits laissaient augurer un clone d'Udo au rabais ; un jugement hâtif et trompeur, puisque le bonhomme ne saurait se résumer à ça. S'il se classe lui aussi dans la catégorie des chanteurs de heavy à la voix passée au papier de verre, son chant est beaucoup moins nasillard qu'Udo et le rapproche tout autant de Brian Johnson. Tornillo se montre également capable de varier son chant de temps à autre, et il se montre réellement bluffant lorsqu'il pose sa voix comme sur le superbe break de "The Abyss" ou sur la ballade "Kill the Pain". Voilà un atout de plus dans l'escarcelle d'Accept, gageons que le groupe développera davantage cet axe à l'avenir.
Accept, en principe, c'est l'usine à riffs. Voilà peut-être la seule déception de l'album, puisque sur ce point, même si le groupe n'a pas complètement perdu la main (cf. le riff kolossal de "The Abyss"), il n'y a rien de vraiment marquant par rapport aux nombreux suiveurs. Un riff comme celui de "Beat the Bastards" ou bien de "Rolling Thunder" pourrait ainsi très bien avoir été pondu par Hammerfall ou Sabaton. Toutefois, il y a quelque chose que ces groupes n'ont pas, quelque chose qui fait toute la différence : Wolf Hoffmann. Ce cher Wolfie a beau avoir récemment atteint les 50 balais, le temps ne semble pas avoir de prise sur lui. Au lieu d'attendre bien sagement la fin du second refrain pour poser son solo, comme la plupart des guitaristes lead, le bonhomme profite de chaque espace musical pour envoyer la sauce. Et avec quelle maestria ! Chacune de ses nombreuses initiatives apporte un véritable plus au morceau en question, que ce soit un long solo, une courte intervention avant la reprise du couplet ou une petite fantaisie derrière le chant en fin de morceau. Et puis cette variété dans le jeu… Hoffmann a toujours cette aptitude à trouver la ligne mélodique qui tue dans ses solos, et à la faire cohabiter parfaitement avec des passages bien heavy. Sur "Kill the Pain", il fait pleurer sa guitare comme un vieux bluesman usé par le poids des années, sauvant ainsi ce qui s'annonçait comme une ballade un peu bateau. Au final, des morceaux classiques comme "Pandemic", sans atout particulier de prime abord, peuvent très bien se transformer en bombes heavy. Brillant !
L'abattage d'Hoffmann a pour effet d'allonger la durée des morceaux, d'où un menu assez copieux : 12 titres pour 67 minutes, sans compter le bonus track de l'édition limitée. Ceci dit, nuance importante, un album long ne signifie pas nécessairement qu'il y a des longueurs. Aucun véritable raté n'est à déplorer, et pratiquement tous les titres amènent une couleur supplémentaire. Le premier tiers est là pour nous rappeler tous les fondamentaux du style Accept : un morceau speed pour prendre d'entrée l'auditeur à la gorge ("Beat the Bastards"), puis différentes nuances de mid tempo : martial ("Teutonic Terror"), très heavy ("The Abyss") ou un peu plus léger ("Blood of the Nations" et son riff un poil groovy, avec les fameux chœurs virils). "Shades of Death" ralentit le tempo et nous propose sans doute le riff le plus heavy de l'album, une véritable chape de plomb mise en valeur par la production très réussie d'Andy Sneap, qui a su moderniser le son du groupe sans le dénaturer. La suite est un enchaînement de titres rapides ("Locked and Loaded", peut-être le morceau le plus dispensable de l'album, "No Shelter") et heavy ("Rolling Thunder") entrecoupés par des pauses bienvenues pour éviter la redondance : ici une ballade ("Kill the Pain"), là un morceau plus léger aux accents US ("New World Coming" et ses « oh oh oh » irrésistibles). Pour finir, "Bucketful of Hate", le morceau le plus agressif du lot, tant dans le riff que dans le chant, histoire de montrer que le groupe n'est pas revenu pour amuser la galerie. Un agencement extrêmement bien pensé qui semble réduire de moitié la durée de l'album.
Si Blood Of The Nations n'atteint pas le rang de la quinte flush royale allant de Breaker à Russian Roulette, il n'en est pas non plus à des années-lumière. Je dirais même que seule l'absence d'un véritable classique en puissance l'empêche de se hisser au niveau de Restless And Wild, l'album dont Blood Of The Nations se rapproche le plus dans l'esprit, avec l'accent mis davantage sur la puissance que sur la mélodie ou les arrangements. Vous trouvez que je m'emballe ? Oh, ça va, on peut bien laisser parler sa fanboyitude de temps en temps, non ? Alors vive Wolf Hoffmann, et vive Accept ! Garçon, la suite, et vite !