« Le seul moyen pour un être humain de progresser et de se développer passe par l'exploration et la compréhension de sa douleur physique et de sa peine ». La musique de Tool, se présenterait comme l'outil de compréhension de cette douloureuse philosophie, conceptualisée par Adam Jones sous le terme de Lacrymologie (ah, çà change des effets spéciaux de Terminator 2 ou de Jurassic Park). Profonde fumisterie commerciale ? Le groupe dément vouloir capter l'attention des médias, les fuyants bien volontiers. Satyre originale des dérives religieuses ? Peut être, Maynard James Keenan ne cache pas son mépris pour certaines formes de prosélytisme du christianisme. Véritable réflexion qui donnerait enfin un espoir aux anhédoniques de la terre entière de sortir de leur torpeur ? Quelle que soit la conception que l'on en retient, il apparaît clairement que la musique de Tool puise toute sa force dans l'émotion très vive qu'elle suscite en nous.
Tool emprunte à la fois au heavy metal sa puissance, au rock progressif, sa charge émotive et au rock psychédélique, son atmosphère pleine et envoutante. La basse, extrêmement marquée et quasi hypnotique, couplée à une batterie qui va bien au delà du simple rôle rythmique et participe pleinement à la construction de la mélodie, constituent la signature du groupe. Ce couple nous entraine d'emblée dans un monde obscur, fantasmagorique, qui échappe aux étiquettes. Pour parfaire cet univers ensorceleur, il fallait également la voix envoûtante d'un chanteur « qui vous traverse le ventre et remonte le courant de l'âme d'un seul coup tranchant », soutenue par une guitare, dont les lignes poussent à la considérer elle-même comme une voix. L'ensemble, constitue alors une musique riche, originale et introspective, simplement bouleversante.
Lateralus, constitue ainsi un véritable concept album, particulièrement soigné à la fois en terme de musicalité et de références, sur le thème de l'âme humaine, rien de moins. Le titre lui même n'a évidement pas été choisit par hasard. Il fait référence au « sulcus lateralis », ou grossièrement, cette partie de notre cerveau qui relie notre conscience à nos perceptions sensorielles. Il s'agit ici d'un voyage qui doit nous conduire à l'intérieur de nous même. Tout le travail de Tool dans cet album consiste donc à nous insuffler avec force foule de sentiments, amers, rageurs, douloureux ou parfois même plus optimistes, et à forcer notre intimité au point de nous les faire ressentir presque physiquement. Le tout est donc composé de différents tableaux porteurs chacun d'une émotion précise, s'enchainant avec une fluidité déconcertante.
Les premières notes de l'album nous emportent vers l'univers glauque et brutal de "The Grudge". Une pulsation obsédante du couple basse / batterie qui prend d'emblée les entrailles, une guitare minimaliste qui assène ses notes avec acharnement comme autant de coups de poignards, une voix tantôt rauque et brutale, tantôt plus haute et suppliante... C'est la rancœur, source d'autodestruction qui nous est livrée ici, pure et violente ! Un hurlement et une pure poussée d'adrénaline menée par une rythmique effrénée et désespérée nous laissent déjà à bout de souffle. "Ticks and Leeches", nous offre le désir violent et immédiat de vengeance, dont l'acidité est pleinement marqué par la rythmique originale, l'alternance de la voix rageuse et des chuchotements. Puis encore, Tool nous ferra ressentir la douleur de la séparation d'un être cher dans l'obsédant et sublime "Schism". Les émotions s'insinuent en nous ainsi petit à petit au fil de l'écoute, mettant nos nerfs à rude épreuve.
Mais la musique de Tool, bien que très sombre, n'est pas exempte d'un certain optimisme qui vient régulièrement contre balancer ces injections de douleur pure. Ainsi, la patience nous est offerte avec "The Patient" ou encore la contemplation de la vie dans "Disposition" et "Reflexion". Lateralus s'achève officiellement d'ailleurs sur le titre "Faaip De Oaid", ou "La Voix de Dieu" en langage énochien. Il s'agit ici d'une référence au langage originel, dont le concept avait été soulevé par un mathématicien adepte des sciences occultes, John Dee (rendons à César ce qui est à César). Par l'usage de ce langage « céleste » qui offrirait la possibilité de se rapprocher des instances suprêmes, l'idée est ici de montrer que l'homme a en lui la clé du savoir et la capacité de parvenir à un dépassement de soi et de ses douleurs par l'esprit. Cette référence n'est qu'une illustration de plus du soin tout particulier que le groupe apporte à la création de son univers si particulier.
Après avoir été ainsi pris à la gorge, emportés par le fantasme de cette musique intense et de ce mysticisme délirant, Tool nous offre un brin de parfaite ironie avec une piste cachée, "Opium for Breakfast". Un titre très court, parfaitement décalé, comme sortit d'un transistor hors d'âge, avec pour tout accompagnement d'une voix lasse, quelques notes de guitare acoustique. La drogue du rêve comme petit déjeuner pour survivre à une journée de plus. Une autre façon de passer outre ses peines et ses douleurs, mais quels mystificateurs de talent ! « Laissez la musique parler d'elle même ». Tool ne fait que de la musique, à nous de nous inspirer de ce qu'elle ne fait que suggérer !