Résumé de l’épisode précédent : Haris et Theo, deux savants fous grecs fans de trve black-metal, remontent accidentellement le temps et atterrissent au beau milieu des 70s, en plein dans un concert de Van der Graaf Generator. Le temps de réparer leur machine à voyager dans l’espace-temps, ils écrivent Pneuma, histoire de ne pas revenir les mains vides.
Suite des aventures :
- Ça y est ! C’est réparé ! Ça devrait marcher. Mais bon, la réparation est fragile, on va pas forcer. Remontons donc pour l’instant au début des années 80. Pour la destination, tu n’as qu’à taper « hard-rock », le programme comprendra.
- Ok, allons-y, a-r-t- r-o-c-k.
- Comment ça art rock ?? Mais non !! J’ai dit hard-rock !! h-a-r-d r-o-c-k !!!
- Ah merde ! Trop tard !
Eh oui, trop tard… Pas d’AC/DC au programme (tant mieux ? euh... oui !). Loin d’être l’accident inventé dans cette intro fantaisiste (et un peu débile), la destination musicale prise par Hail Spirit Noir est un choix conscient, pleinement assumé. Le groupe continue à mélanger allègrement répertoire rock-prog complètement 70s et passages clairement black-metal, et, de ce point de vue, la nouvelle réalisation qu’il nous propose continue le travail commencé il y a moins de deux ans. Oi Magoi est par conséquent définitivement le petit frère de Pneuma, mais l’influence de l’aîné sur le cadet a ses limites : la nouvelle œuvre de Hail Spirit Noir n’est pas un « on prend les même et on recommence », enfin pas tout à fait. La base est certes la même, le fameux rock prog passé au noir de charbon évoqué précédemment, mais là où Pneuma est une espèce de sublime conte loufoque pour grands enfants, Oi Magoi est une œuvre plus posée, globalement plus sage. S’il ne s’agissait pas seulement du second album du groupe, on pourrait presque parler du fameux « album de la maturité », expression tant utilisée par les musicos de tout poil pour définir leur travail en cours qu’on dirait un vieux pull-over élimé.
Bien sûr, les deux premiers tiers de "Satyriko Orgio" sont assez frénétiques, voire bordéliques, mais ce n’est peut-être pas un hasard si c’est le morceau le moins réussi de l’album (c’est-à-dire meilleur que seulement 90% de la production métallique mondiale). Si l’on excepte la furie très contrôlée et très art-rock de "Blood Guru", Oi Magoi fait en effet la part belle à la volubilité instrumentale digne de l’art-rock mentionné dans l’intro et aux ambiances totalement et absolument 70s au détriment du côté chien-fou de son prédécesseur. Hail Spirit Noir prend désormais plus son temps et ça se sent : l’album dépasse cette fois-ci les trois quarts d’heure réglementaires et nous régale d’intervention guitaristiques toutes plus jouissives les unes que les autres, à tel point qu’on jurerait entendre jouer par moments les virtuoses de High Tide (groupe horriblement méconnu soit dit en passant). Le côté années 70 se fait sentir plus par une certaine ambiance et des claviers d’époque rappelant pourquoi pas les moments calmes d’Emerson, Lake and Palmer ("The Mermaid") que par un psychédélisme endiablé : tous les morceaux sont faciles d’accès et il n’y a pas besoin d’avoir son diplôme en musique barrée pour les apprécier.
Attention tout de même : le côté cru et braillard du groupe est loin d'être absent. ’une part Theo malmène toujours autant ses cordes vocales et n’est relayé que partiellement par la fameuse voix claire et ampoulée déjà apparue sur l'album précédent (voix qu'on jurerait à la limite de l’autodérision), notamment sur "Satan Is Time" et "The Mermaid", sans oublier les refrains de "Hunters". D’autre part presque tous les morceaux, avec la notable exception de "Oi Magoi" et ses claviers façon B.O. de vieux film français avec Lino Ventura, ont leurs passages d’obédience black-metal, passages encore mieux intégrés que sur Pneuma. A l’exception de la petite baisse de régime décrite ci-haut, l’ensemble de l’œuvre est d’une qualité, d’une constance et d’une cohérence rares pour une expérience de la sorte. Difficile de se décanter pour des titres en particulier : on insistera peut-être un peu plus sur "Demon For a Day", rencontre improbable entre les « uh » à la Thomas Warrior et "Initials BB" de Gainsbourg, "The Mermaid" et son fantastique final instrumental, ou "Hunters", ou comment mettre un collier à fleurs et un pantalon patte d’éléphant à Ferniz, mais tout l’album est à écouter. Et pas qu’une fois. Ni dix. Ni cent…
Hail Spirit Noir s’affirme et affine (encore plus) le tir. Son orientation déroutera éventuellement les amateurs de mélodies tordues, mais les amateurs de phrasés compréhensibles et de splendides contrastes blacko-progressifs se réjouiront de l’évolution sans révolution que représente Oi Magoi. High Tide, Still Life, ELP et Darkthrone sont sur un bateau (dirigé par Manos Hadjidakis, la grande référence sous-jacente du groupe). Qui tombe à l’eau ? Personne. Au contraire, s’ils me font une petite place je vieux bien y monter encore une fois. Merci les gars.